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LA MONTAGNE D’HIVER

Devant cette véhémence, Madeleine échappa un petit éclat de rire. Elle n’avait aucun amour-propre, et elle méprisait de tout son cœur les opinions d’un certain monde. Hélène fut ravie de ce rire ; sa sœur devenue raisonnable, s’achetait une robe, une écharpe, un chandail et même un chemisier.

Sans en avoir conscience, Madeleine était également contente. Le secours était venu à point. Qu’elle eût besoin d’être stimulée pour agir, présentement, c’était évident. Elle l’admit :

— Je te remercie, Hélène, dit-elle, comme elles se dirigeaient vers le parc de stationnement, leurs emplettes achevées.

Hélène aurait volontiers rétorqué, à sa manière habituelle : « Je te l’avais bien dit qu’il fallait te secouer. Si tu m’avais donc écoutée plus vite. » Mais elle se sentait si heureuse qu’elle reprit plutôt sur un ton enjoué :

— Remercie-moi surtout de la voiture. Je parie n’importe quoi, que si je t’avais simplement donné rendez-vous dans un magasin, tu n’aurais pas eu le courage de venir me rejoindre. Est-ce que je me trompe ? As-tu pris l’autobus une seule fois depuis…

Elle ne finit pas la phrase commencée. Mieux valait répéter le moins souvent possible : depuis que Jean est mort. Puisque Madeleine projetait enfin de fuir l’atmosphère funèbre de son appartement, la guérison viendrait.

Hélène avait deviné juste. Sa sœur n’était pas montée dans un autobus une seule fois, depuis un mois. Non parce que les forces physiques lui manquaient. Une peur maladive lui faisait redouter la rencontre des indifférents. L’idée d’avoir à partager une banquette avec quelqu’un qui lui parlerait, — tout le monde se connaissait dans son quartier, — la faisait frémir des pieds à la tête. L’intérêt que les meilleurs de ses amis lui portaient, la martyrisait. Elle