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LA MONTAGNE D’HIVER

moment me comble, Louise. Ce feu qui meurt en beauté, cette nuit qui nous entoure, ce vent qui souffle sans nous atteindre, chaque couleur du salon que les lueurs de l’âtre sortent de l’ombre, chaque livre dont le dos subitement s’éclaire, et les quelques fleurs de votre cyclamen qui persistent, toutes ces choses me ravissent. Et même si rien de ma situation ne s’est amélioré, j’ai momentanément le cœur gonflé d’une joie inexplicable, qui ressemble à de l’espoir. Ah ! Louise, prolongeons cette heure vide de rancœur, de peine, de regrets, vide de passé, vide d’avenir. C’est si peu souvent que le présent me suffit !

— Eh bien, ma petite, ce sera comme la promenade de l’autre jour. Prolongeons vraiment. Attends-moi un instant.

Louise se dirigea vers la cuisine. Madeleine savait pourquoi, mais elle ne se leva pas pour l’accompagner. Elle demeurait immobile, suivant des yeux les flammes qui couraient, multicolores, féériques. Immobile et souriante d’abord, puis pensive, et bientôt avec un visage qui s’assombrissait. Ce n’était plus la peur de l’avenir qui attaquait sa sérénité reconquise. C’était un assaut du passé. Soudain, elle songeait que si elle était venue chez Louise avec Jean, tel qu’il était, la paix et la beauté de l’heure n’auraient point été pour elle aussi légères. En présence de Jean, elle serait restée aux aguets, redoutant ses réactions, ses susceptibilités, ses imaginations. Elle aurait surveillé ses propres gestes, ses propres paroles, elle aurait évité d’être exubérante. Elle se serait constamment demandé s’il était à l’aise et heureux, si tout lui plaisait. Pourquoi, foncièrement bon et si intelligent, avait-il fait de leur lien, une chaîne qui blessait ? Pourquoi, sa présence, à la fin, lui serrait-elle le cœur, au lieu de lui donner le contentement, l’apaisement, la confiance qu’elle avait rêvé d’éprouver indéfiniment auprès de lui ? Une heure semblable, avec Jean, eut