Page:Le Normand - La Montagne d'hiver, 1961.djvu/66

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
LA MONTAGNE D’HIVER

sentier sinueux et blanc traversant une forêt nous enivrait d’une pareille joie, si nos arbres de Noël, nos fruits de faux ors, si la musique et le chant, si nos bruyants et fugaces plaisirs étaient exaltants, si la nature offerte à nous, pauvres humains, était d’une splendeur si émouvante, si Dieu jouait si généreusement de son soleil, de ses étoiles, de ses couleurs, pour nos yeux si obstinément fixés parfois sur la laideur et sur le faux, s’il permettait qu’à travers les vicissitudes de l’existence quotidienne, nous ressentions en éclair cette félicité intense devant la beauté d’un paysage, l’Éternelle Fête, que serait-elle ?

Nos nostalgies, pensait encore Louise, nos inquiétudes, nos chagrins, nos déceptions, nos faiblesses, nos hésitations pénibles, nos malices, nos petits et grands malheurs, nos intimes et secrètes souffrances, notre impuissance à aider vraiment ceux que nous aimons et ceux que la pauvreté et le mal affligent, nos lassitudes, nos cheveux blancs, nos rides, nos infirmités, nos sentiments morts, nos heures mortes, nos mains vides des fruits du jour, certains soirs, tout cela effacé, fini, et les imparfaites amours de la terre changées en l’Amour unique, fort, vraiment Amour, l’Amour sans faille et à jamais ardent. Et les ailes de la Jeunesse retrouvées et qui ne se briseraient plus. L’Éternelle Fête, comment notre pauvre esprit pouvait-il le concevoir ?

— Où êtes-vous Louise, je ne vous entends plus.

Madeleine se détournait. Elle aperçut sa compagne qui venait assez loin derrière elle, mais qui hâtait le pas.

— Me voici. J’étais distraite, absorbée par des réflexions qui ressembleraient à un sermon de retraite, si je t’en faisais part ! Cet après-midi est trop beau, trop beau…