Page:Le Normand - La Montagne d'hiver, 1961.djvu/82

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
LA MONTAGNE D’HIVER

j’achevais de vivre une série noire : la mort de mon père, le départ de mes sœurs, l’éloignement définitif des enfants de Jules que j’avais élevés, parce qu’il se remariait et les reprenait. Je restais donc absolument seule et obligée de reconstruire ma vie. Après tous ces chocs et l’emménagement dans un appartement plus petit, je tombai malade. Trop malade pour vivre seule. Je devrais un peu plus tard subir une intervention chirurgicale. En attendant, il me fallait trouver une servante. Les salaires étaient déjà astronomiques et j’étais gênée dans mes finances. Mon père, avant de mourir, m’avait acheté des « rentes viagères » qui ne me seraient servies que plus tard. En me privant, tout ce que je pouvais offrir à une domestique, c’était cinquante dollars. Pour ce prix, aucune annonce ne parvenait à en attirer une jusqu’à ma porte. Je songeais qu’il me faudrait très probablement renoncer à mon petit appartement, et aller vivre dans une institution. On fait cela à soixante-dix ans, pas à quarante-cinq. Un matin, je perdis connaissance et revins à moi, étendue sur le plancher, le front fendu par le radiateur que j’avais heurté. Je compris que l’heure était arrivée de demander secours au ciel avec plus d’insistance. Lorsqu’il me fallait une grâce de première grandeur, j’avais l’habitude de me recommander aux Bénédictines de Saint-Eustache-sur-le-lac. Je leur écrivis, suppliant les religieuses de « frotter » plus fort sur ce que j’appelais « leur Lampe d’Aladdin, » parce que jamais elles ne me décevaient ! J’achevai ma lettre par ces mots : « Demandez à Dieu qu’Il me guérisse, ou qu’il m’envoie une domestique. Je crois qu’il trouvera plus facile de me guérir. »

— Ma lettre fut au monastère le lundi matin. Ce jour-là, je continuais à me sentir plus faible. J’étais déprimée, surtout quand je m’apercevais dans la glace, un bandeau