Et foutre, m’est avis que ce dénouement tragique va fiche la puce à l’oreille de tous les dégoûtants qui pratiquent le droit de cuissage !
Et de deux, maintenant : poussons une pointe en Belgique.
J’ai déjà jaspiné aux camaros de « l’état d’âme » particulier de quantité de prolos belges : ils sont arrivés au dernier cran de la patience !
Tellement que, depuis un an, y a eu là-bas, au bas mot, une vingtaine de patrons ou de contre-maîtres qui ont reçu des coups de revolver ou ont encaissé des bochons sérieux.
Y a presque pas de quinzaine où, ici ou là, on n’enregistre un de ces drames.
Voici le plus récent, mais ce coup ci, c’est deux prolos qui ont trinqué, tués par leur singe :
Il y a quelques semaines, le nommé Sirejacob, fabricant de toile à Ruisbroeck, un patelin qui perche près de Bruxelles, saquait deux de ses prolos, âgés, l’un de vingt-quatre, l’autre de vingt-cinq ans.
Ce fut la dèche noire pour les pauvres bougres : ils frappèrent aux portes de tous les bagnes mais, — soit qu’il n’y eut pas de turbin, soit que leur ancien singe les eut débinés, — nulle part ils ne trouvèrent d’embauche.
Alors, à bout de ressources, les deux malheureux allèrent relancer le patron Sirejacob et le supplièrent de les reprendre pour leur éviter la crevaison par la faim.
Satisfait de les avoir avili et les croyant domptés pour longtemps, le jean-foutre les rembaucha.
Évidemment, ils avaient le cœur fielleux !
Lundi dernier, ils demandèrent à sortir ; mais comme, dans ce bondieu de bagne, les prolos sont rivés au turbin, l’autorisation leur fut refusée.
Ils sortirent quand même !
Les quotidiens bourgeois racontent que les deux turbineurs en profitèrent pour aller soiffer à l’estaminet voisin et qu’ils ne radinèrent au bagne qu’avec une paille dans le nez.
Ça peut être vrai…, comme ça peut être faux !
En rappliquant, dans un couloir du bagne le deux prolos se cognèrent dans la gueule du singe.
Que se passa-t-il ?
Il est probable que le galeux les provoqua, leur posa une postiche, les engueula salement et, comme conclusion, il dut leur annoncer qu’il les foutait à la porte.
Agonisés de sottises, acculés à la misère, les deux pauvres bougres se rebiffèrent : l’un foutit une baffle au singe, tandis que l’autre empoignait un tisonnier pour lui frotter l’échine.
Sur ce, le patron sortit son revolver et, visant bien, il déquilla les deux turbineurs : l’un fut tué sur le coup et l’autre ne vaut guère mieux…
Le drame s’est-il déroulé comme je le raconte ?
Il se pourrait que non ! Y aurait rien de drôle à ce que le patron n’ait pas attendu de recevoir une taloche pour assassiner ses deux victimes.
Un patron est capable de tout !
Et, comme il reste le seul témoin, le bandit raconte l’histoire à son profit.
Le populo qui — s’il se laisse rouler souvent — ne manque pourtant pas de flair, a violemment manifesté l’exécration qu’il a pour le singe assassin : si le crapulard n’avait pas eu la protection de la police, il aurait passé un sale moment.
Et maintenant, une comparaison : tous les prolos belges qui ont pris pour cible leurs exploiteurs, et les ont plus ou moins mouchés, ont été bouclés illico et condamnés sans pitié.
Il n’en a pas été de même pour l’assassin Sirejacob : sa qualité de patron lui a valu les faveurs des marchands d’injustice et on l’a laissé en liberté !
Si bien que, si ça le démange, il pourra repiquer au truc et déquiller quelques autres de ses prolos.
Dam, au même prix, c’est un luxe à portée, — non de sa bourse — mais du canon de son revolver !
Que tout ça est affreux !
Il serait bougrement de saison que vienne la fin de ces horreurs.
Or pour ça, que faudrait-il ?
C’est que nul n’ait la puissance, en vertu de son pognon ou de son autorité, de disposer du pauvre monde.
Le jour où les usines accaparées par les capitalos, ce qui fait que les prolos sont menés à la trique et pressurés jusqu’à la gauche, seront devenues le bien de tous, y aura plus d’anicroche ; on vivotera sur un pied d’égalité, — et conséquemment en pleine liberté, car la liberté et l’égalité ne sont que les deux faces d’une seule et même chose.
Et alors, c’en sera fini des drames de sang et de deuil !
On ne verra plus de singes, comme le Sirejacob, fusiller ses ouvriers, — pour la simple raison que les singes ont disparu de la circulation.
Et le contraire aussi sera inconnu : des prolos, tels des taureaux furibonds, affolés par l’exploitation et le mistoufle et fonçant sur les capitalos.
De même, on ne verra plus de porcs ; kif-kif le contre-coup de Puteaux, pratiquer le féodal droit de cuissage ; les copines, émancipées du mâle, n’auront plus à se venger d’avoir été violées d’abord et plaquées ensuite ; l’intérêt ne décidera plus de leur cœur et l’amour soufflera où il voudra.
Et donc, on vivra les coudées franches, sans haine et sans gêne !
Et j’ajoute que si, aujourd’hui les jean-fesse de la haute n’étaient pas tourneboulés par leur situation, l’appât du gain et une jalousie imbécile, ils se rendraient compte que, dans la garce de société actuelle, eux-mêmes n’y vivraient pas en joie et en tranquillité ; ils comprendraient qu’ils ont autant de profit à tirer que le populo d’un alignement social où le bien-être sera général.
Et foutre, au lieu d’être les acharnés défenseurs de la sale bicoque sociale, ils aideraient à son chambardement.
PETITES JOIES
L’ENQUÊTE DU DIPLOMATE
Une cour.
Le diplomate. — Ainsi, ce sont ces jolies chambrettes si spacieuses et si bien aérées que nous venons de quitter qu’ils appellent leurs cachots ! Les appétissantes salaisons qui embaument à l’office leur sont destinées ! Et ils osent se plaindre ?…
Le directeur de la forteresse. — Ils ont toutes les audaces !… Ah ! il y a bien des gens qui voudraient avoir, comme eux, de la morue à discrétion. Moi-même, je suis loin d’en manger à tous mes repas… de la morue !… Et encore plus de boire du Porto…
Le diplomate. — Du Porto ? Ils boivent du Porto ?… Et leurs journaux prétendent qu’un jour, l’un d’eux, mourant de soif, but le pétrole de sa lampe !
Le directeur — Oh ! C’est très possible ! Ces gens-là ont le génie du mal !… Le pétrole, d’ailleurs, est de première qualité !
Le diplomate. — C’est inouï ! (Apercevant divers instruments de torture.) À quoi donc servent ces appareils… dans ce coin ?
Le directeur. — Ce sont des jeux pour distraire les détenus… Ceci, tenez, c’est un casque… un jeu tout nouveau… breveté avec garantie du gouvernement, s’il vous plaît ! On les gâte…
Le diplomate. — Tiens ! une corde à nœuds…
Le directeur. — Ils adorent la gymnastique.
Le diplomate. — Voici, je crois, une petite forge ?
Le directeur. — Elle leur sert à faire rougir les barres de fer que vous voyez là-bas… Ils ont la manie d’allumer leurs cigares avec.
Le diplomate. — Voilà une habitude bien curieuse !… Que font-ils de ces pinces ?
Le directeur. — Il les ont demandées pour se faire les ongles…
Le diplomate. — Ah ! des cordes de guitare !…
Le directeur. — Il y en a qui sont musiciens… fort bons musiciens !…
(On entend un cri déchirant.)
Le directeur. — Tenez, en voici un qui chante…
(Des hurlements horribles s’échappent d’un soupirail.)
Le directeur. — Bon ! les voilà qui font enrager leurs gardiens !… Oh !…
Le diplomate. — Allons, je vois bien que tout ce qu’on m’a dit est faux. Mais pourquoi traiter si bien des bandits pareils ?
Le directeur. — C’est une tactique… Quand on soupçonne un individu d’anarchisme, on va lui proposer le marché suivant : rester libre et pauvre ou venir ici et jouir de tout le confort désirable.
Le diplomate. — Ils préfèrent perdre leur liberté ?
Le directeur. — Parbleu !… Et le pays est débarrassé ! C’est simple ! Malheureusement ce moyen humanitaire est aujourd’hui trop connu !… Tous les « sans-le-sou » se disent anarchistes pour goûter aux joies de la prison… L’étranger donne aussi, malgré les expulsions !… Toujours la concurrence !
Le diplomate. — Alors traitez-les moins bien…
Le directeur. — C’est ce que nous commençons de faire… Ainsi, l’autre matin, nous nous sommes vus obligés d’en fusiller cinq !
LE PÈRE PEINARD
PROVINCE.
Cheney est un petit patelin qui perche dans l’Yonne, pas loin de Tonnerre.
Et, tonnerre, là comme partout, les prolos en voient de dures !
Un millionnaire, qui n’a d’autre intelligence que le contenu de son coffre-fort, s’est fourré dans le cruchon d’être député.
Pourquoi pas ? De plus buses que lui le sont bien !
Dans cet espoir, histoire de se rendre populaire, il a monté un sacré bagne où on fabrique de la galoche. Mais la rapacité du capitalo lui fait perdre de vue ses plans de popularité : dans son usine, les ouvriers y sont traités kifkif des bêtes de somme.
Y a surtout, dans la boîte, un contre-coup qui a réussi à se faire salement exécrer ; sous-off en rupture de caserne y a pas de muflerie dont il ne soit capable.
Et foutre, si le capitalo n’a que lui comme agent électoral, il n’est pas près de devenir bouffe-galette et de se rincer au grand œil à l’abreuvoir de l’Aquarium.
Calais. — Cré pétard, je ne le serinerai jamais assez : c’est la politique, — cette cochonne de politique ! — qui paralyse les énergies populaires, même la zizanie et engendre la discorde et la haine entre bons bougres.
Ce qui arrive à Calais en est une sacrée preuve ! il y a quelques années, les tullistes en pinçaient ferme pour le grand chambard et ils poussaient à la roue de la Sociale.
Puis, va te faire foutre, ils ont glissé dans la politicaillerie !
Petit à petit, grâce à Delcluze, un type dévoré d’ambition, finaud et roublard, le populo abandonna le terrain social et ne vit plus rien en dehors de cette couillonnade : la conquête des pouvoirs publics !
Delcluze avait pour lieutenant, Salembier, qui lui, obéissait au doigt et à l’œil.
Tout marcha bien tant que l’assiette au beurre ne fut pas conquise. Mais, va te faire foutre ! Voilà que, l’an dernier, aux élections municipales, les guesdistes se trouvèrent les maîtres de l’Hôtel-de-Ville.
Illico, la brouille se mit dans le ménage. Salembier fut bombardé maire et Delcluze qui avait guigné la place renauda salement.
La dispute s’est envenimée, au point que, ces jours derniers, y a eu une scission : Delcluze, patronné par la haute légumerie guesdiste, le le conseil national, reste collecto orthodoxe, tandis que Salembier et ses copains ont déclaré se séparer des guesdistes et former dorénavant une section autonome.
Voilà où mène la politique !
Et c’est pourquoi, les bons bougres, il faut s’en garer pire que de trente six mille choléras.
Toulon. — Les socialos à la manque ont perdu l’Hôtel de Ville ; aussi, dans la bande, y a des pleurs et des grincements de dents !
Quant à ceux qui en pincent pour la votaillerie, ils ont pu s’en payer, ces derniers temps ! Du 13 juin au 8 août, les tinettes ont été remplies et vidées six fois d’affilée.
Hélas, le nombre des votards n’augmente