Page:Le Parnasse contemporain, I.djvu/16

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Ils ne fleuriront plus tes pensers, enchantés
Par l’éblouissement des blanches nudités.
Donc subis la laideur et la douleur. Expie.
Nous, cependant, chassés par ta fureur impie,
Nous fuyons, nous tombons dans l’abîme béant,
Et nous sommes la proie horrible du néant.
Hellas, adieu ! forêts, vallons, monts grandioses,
Rocs de marbre, ruisseaux d’eau-vive, lauriers-roses !
Mais, homme, quand la nuit reprend nos cheveux d’or
Et nos fronts lumineux, tu sentiras encor
Nos soupirs s’envoler vers ta demeure vide,
Et sur tes mains couler nos pleurs, ô parricide !


C’est ainsi que parla dans son divin courroux
La grande Aphroditè. Sur les feuillages roux,
Tout sanglant et vainqueur de l’ombre qui recule,
Le jour dans un sinistre et sombre crépuscule
S’était levé. Baissant leurs regards éblouis,
Les grands dieux en pleurs dans la brume évanouis,
Formes sous le soleil de feu diminuées,
S’effaçaient tristement dans les vagues nuées
Où leurs fronts désolés apparaissaient encor.
Aphroditè, la Reine adorable au front d’or,
Avec son sein de rose et ses blancheurs d’étoile,
Sembla s’évanouir comme eux sous le long voile
De la brume indécise, en laissant dans ces lieux,
Qu’avaient illuminés de leurs feux radieux
Son sein de lis sans tache et sa toison hardie,
Un reflet pâlissant de neige et d’incendie.


THÉODORE DE BANVILLE.