Page:Le Parnasse contemporain, I.djvu/173

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A UN PAUVRE


Prends le sac, Mendiant. Longtemps tu cajolas
— Ce vice te manquait — le songe d’être avare ?
N’enfouis pas ton or pour qu’il te sonne un glas.

Évoque de l’Enfer un péché plus bizarre.
Tu peux ensanglanter les sales horizons
Par une aile de Rêve, ô mauvaise fanfare !

Au treillis apaisant les barreaux de prisons,
Sur l’azur enfantin d’une chère éclaircie,
Le tabac grimpe avec de sveltes feuillaisons,

Et l’opium puissant brise la pharmacie !
Robes et peau, veux-tu lacérer le satin,
Et boire en la salive heureuse l’inertie ?

Par les cafés princiers attendre le matin ?
Les plafonds enrichis de nymphes et de voiles,
On jette, au mendiant de la vitre, un festin.

Et quand tu sors, vieux dieu, grelottant sous tes toiles
D’emballage, l’aurore est un lac de vin d’or,
Et tu jures avoir au gosier les étoiles !

Tu peux même, pour tout répandre ce trésor,
Mettre une plume noire à ton feutre ; à complies
Offrir un cierge au Saint en qui tu crois encor.

Ne t’imagine pas que je dis des folies.
Que le diable ait ton corps si tu crèves la faim,
Je hais l’aumône utile et veux que tu m’oublies.

Et, surtout, ne va pas, drôle, acheter du pain !