Page:Le Parnasse contemporain, II.djvu/190

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L’âcre odeur de la menthe & du genévrier
Se répand ; & l’oiseau qui va s’expatrier,
Triste des longues nuits déjà froides, murmure
Comme un adieu plaintif sous l’humide ramure.
On a cassé les noix & foulé le raisin ;
Et chantant le vieil air qui doit charmer l’essaim,
On a volé leur miel aux abeilles jalouses.
L’ombre oblique des bois descend sur les pelouses ;
Il fait bon cheminer à petits pas, cherchant
Un vers dans sa mémoire & l’alouette au champ.
Il fait bon s’attarder le long de la ravine
Comme l’humble ruisseau que l’oreille y devine,
Et qui s’y perd cent fois de crainte d’arriver ;
Il y fait bon s’asseoir au soleil & rêver.
Car l’arrière-saison est clémente aux poëtes,
Et, mieux que le printemps aux ardeurs inquiètes,
Mêle aux songes trop chers un doux apaisement.
Les songes ! mais pourquoi toujours eux ? — Vainement
Aujourd’hui je voudrais en avoir les mains pleines
Et les jeter aux vents, aux cieux, aux flots, aux plaines,
Rouge de ma faiblesse & n’y résistant pas,
Vainement je les glane & les pleure tout bas,
O derniers épis d’or de la moisson coupée ! —
Je ne puis oublier combien ils m’ont trompée.
Et, le charme une fois rompu, les bois sont sourds,
Les colchiques muets, les sentiers sans détours ;
Je ne sais plus saisir le sens caché des choses,
Et la vie assombrit les lointains les plus roses.