Page:Le Parnasse contemporain, II.djvu/266

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Impuissance ou dégoût ! Le ciseau du vieux maître
N’a pas, à son captif, donné le temps de naître,
A l’âme impatiente il a nié son corps ;
Et, depuis trois cents ans, l’informe créature,
Nuits & jours, pour briser son enveloppe obscure,
Du coude & du genou fait d’horribles efforts.

Sous le grand ciel brûlant, près des noirs térébinthes,
Dans les fraîches villas & les coupoles peintes,
L’appellent, sur leurs socs, ses aînés glorieux !
Comme un jardin fermé dont la senteur l’enivre
Le maudit voit la vie, il s’élance, il veut vivre…
Arrière ! Où sont tes pieds pour t’en aller vers eux ?

Va, je plains, je comprends, je connais ta torture.
Nul ouvrier n’est rude autant que la Nature ;
Nul sculpteur ne la vaut, en ses jeux souverains,
Pour encombrer le sol d’inutiles ébauches
Qu’on voit se démener, lourdes, plates & gauches,
Dans leurs destins manqués qui leur brisent les reins.

Elle aussi, dès l’aurore, elle chante & se lève
Pour pétrir au soleil les formes de son rêve,
Avec ses bras vaillants, dans l’argile des morts ;
Puis, tout d’un coup, lâchant sa besogne, en colère,
Pêle-mêle, en un coin, les jette à la poussière,
Avec des moitiés d’âme & des moitiés de corps.

Nul ne les comptera, ces victimes étranges,
Risibles avortons trébuchant dans leurs langes,