Page:Le Parnasse contemporain, II.djvu/267

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Qui tâtent le vent chaud de leurs yeux endormis,
Monstres mal copiés sur de trop beaux modèles
Qui, de leur cœur fragile & de leurs membres grêles,
S’efforcent au bonheur qu’on leur avait promis !

Vastes foules d’humains flagellés par les fièvres !
Ceux-là, tous les fruits mûrs leur échappent des lèvres !
La marâtre brutale en finit-elle un seul ?
Non. Chez tous le désir est plus grand que la force.
Comme l’arbre au printemps veut briser son écorce,
Chacun, pour en jaillir, s’agite en son linceul.

Qu’en dis-tu, lamentable & sublime statue ?
Ta rage, à ce combat, doit-elle être abattue ?
As-tu soif, à la fin, de ce muet néant
Où nous dormions si bien dans les roches inertes
Avant qu’on nous montrât les portes entr’ouvertes
De l’ironique Éden qu’un glaive nous défend ?

Oui ! nous sommes bien pris dans la matière infâme :
Je n’allongerai pas les chaînes de mon âme,
Tu ne sortiras pas de ton cachot épais.
Quand l’artiste, homme ou Dieu, lassé de sa pensée,
Abandonne au hasard une œuvre commencée,
Son bras indifférent n’y retourne jamais.

Pour nous, le mieux serait d’attendre & de nous taire
Dans le moule borné qu’il lui plut de nous faire,