Page:Le Parnasse contemporain, II.djvu/70

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Peintre des jeux du mail où, pareille à ma muse,
En des frivolités Zerbinette s’amuse,
Coquet qui détaillez sous des nœuds à flou-flous
Les ruses de l’amour… quoi ! ce penseur, c’est vous !
Sur vos lèvres d’où vient tant de mélancolie ?
Aux banquets d’ici-bas avez-vous bu la lie ?
Étiez-vous taciturne, & ce front ravagé
Accuse-t-il l’ennui d’un cœur découragé ?
L’aimable nautonier qui menait à Cythère
Les bandes d’amoureux fut donc un solitaire ?
Oui, le sort te pesait, pauvre être ; né chagrin,
Tu portais en guirlande une chaîne d’airain.
Moi de même… Entre nous, quelle autre ressemblance !
J’ai chanté le destin dont je pleure en silence.
Gai peintre & gai poëte, échangeons des hélas !
Comme te voilà triste & combien je suis las !
À divertir les gens n’est-ce pas que l’on souffre ?
On peint rose, & soi-même on a des chairs de soufre.
Tu badinais sur toile & je caquette en vers ;
Mais des dessus plaisants il faut voir les revers,
Et deviner pourquoi, sans jamais se distraire,
L’artiste enclin au grave adopte un goût contraire.
Les démons du plaisir, nous prenant pour des saints,
Ont égaré ma plume & séduit tes dessins.
D’autres, heureux de vivre, ignorent ces fantômes
Et sont libres d’oser la fresque & les grands tomes ;
Nous, ermites vaincus par des diables rosés,
Nous réduisons notre œuvre au culte des baisers.
C’est alors qu’étant peintre on s’en donne à cœur joie