Page:Le Parnasse contemporain, III.djvu/361

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Vous marchez en traînant la jambe sur la dalle,
Forçats à vos boulets pour toujours attachés,
Portefaix de la vie, accables sous la balle
Énorme des regrets, et des ennuis cachés.

Vous allez par la ville : on ne sait qui vous êtes,
Et nul n’a jamais pu lire à vos fronts ployés
Quels calmes effrayants, quelles sourdes tempêtes
Vous ont tordus ainsi que des pins foudroyés.

Indifférents à tout, aux pitiés comme aux haines,
Que vous importe un ciel orageux ou vermeil ?
Alexandre viendrait : superbes Diogènes
Vous ne réclameriez pas même le soleil.

Et cependant parfois, du fond de vos prunelles
Ternes et sans reflets comme un miroir sans tain,
Jaillissent tout à coup des gerbes d’étincelles,
Et vos corps amaigris se redressent soudain ;

Un doigt mystérieux sur vos tempes flétries
Efface les sillons de vos soixante hivers,
Et, reprenant sa course en vos veines taries,
Le sang monte à vos fronts et bouillonne à travers.

Un frisson convulsif crispe vos bouches glabres,
Pleines de mots obscurs qui s’échappent tout bas,
Et vous vous roidissez en vain, pauvres macabres,
Contre le désir fou qui vous ouvre les bras. —