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Page:Le Petit - Les Œuvres libertines, éd. Lachèvre, 1918.djvu/87

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dons, désireux et ambitieux d’avoir. Pourquoy trouves-tu mauvais que l’on me donne, et par quelle raison en veux-tu tant sans raison à la dernière syllabe de mon nom. Quelques platoniciens de l’autre monde disent que je suis le plus libéral Dieu du ciel, et croyent avoir bien appris quand ils ont enseigné aux Michaëls Anges, aux Raphaëls et aux Carraches, de me peindre tout nud, et de donner des jaquettes et des roupilles de toutes sortes de couleurs aux autres. Les crédules qui les croyent, en me voyant de la sorte, s’imaginent que je me suis despoüillé pour revestir quelque amoureux transy, ou quelque gueux d’amant morfondu, et attribuent à un effet de générosité ce qui n’en est qu’un de mon addresse ; mais ils se trompent comme toy, les pauvres foux, tous tant qu’ils sont. Sous ombre de ma nécessité feinte et de mon indigence apparente, on soulage mon ambition véritable, et l’on remplit mon avarice insatiable. Si je me couvre de meschans habits, c’est pour en attraper de meilleurs ; et si je passe partout pour pauvre diable, c’est pour avoir occasion de demander partout pour l’amour de Dieu. C’est de l’amour divin dont ils prétendent parler lors qu’ils disent que l’amour se despoüille de tout ce qu’il a pour nous revestir ; comme nous sommes tous deux contraires en natures, nous ne le sommes pas moins en actions, et c’est ce qui fait que les simples et les ignorans qui ne croyent que les choses incroyables, et ne scavent que ce que tout le monde n’a jamais sceu, confondent l’un avec l’autre, et veulent quelque fois par force, sous ombre de cette équivoque, rencontrer en moy des liberalitez et des sentimens désintéressez ; mais tout cela sans raison, comme sans justice et sans apparence : car, puisque mon nom (qui dit ce que je suis) est connu de tout le monde, il est impossible que je puisse tromper quelqu’un sans qu’il s’en apperçoive ; et, pour te faire voir que je suis Dieu de bien et d’honneur autant qu’homme de ma sorte et que je ne t’en veux point faire accroire non plus qu’aux autres, puisque te voicy tout porté en Chipre, je te veux faire voir mon Université, qui est la plus fameuse de l’Univers, et où sont les Illustres de tous les siècles. Comme tous les docteurs de Sorbonne et de Salamanque ont appris leur doctrine et commencé par la croix-de-pardieu (I), tu mourrois de regret d’en avoir esté si proche et d’en avoir esté si esloigné. Je te veux faire advouer qu’on ne luy preste pas la louange que l’on luy donne, et

(I) Croix, s’entend là pour argent autant que pour autre chose (Cl. Le Petit). Croix-de-pardieu : croix placée au début de l’alphabet destiné aux enfants.