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des ateliers (§§ 20 à 25). Dans le moindre fief, dans la baronnie, qui offrait l’unité complète du gouvernement local[1], comme dans les circon-

    cas, les obligations tant réelles que personnelles sont nettement définies par les chartes et coutumes. Le paysan les acquitte sans répugnance ; il sait qu’elles sont le prix de la terre qui nourrit sa famille ; il sait aussi qu’il peut compter sur l’aide et la protection de son seigneur. » (Léopold Delisle, Études sur la condition de la classe agricole et l’état de l’agriculture en Normandie au moyen âge. Évreux, 1851 ; 2 vol. in-8o.)

    Les savants qui ont étudié l’ancienne condition des paysans européens sans se laisser égarer par les passions politiques de notre temps, sont tous arrivés à la même conclusion. Les personnes qui, à cet égard, ont adopté sans examen les préjugés révolutionnaires, renonceront à des erreurs invétérées, si elles veulent bien prendre la peine de remonter, sous la direction des autorités compétentes, aux sources de la certitude. Je signalerai ici notamment les beaux ouvrages de M. Guérard sur l’ancienne France, de M. de Maurer sur l’Allemagne, et de M. l’abbé Hanaüer sur l’Alsace. Ces tableaux fidèles du passé nous montrent les paysans jugeant eux-mêmes par la voie du jury leurs affaires civiles et criminelles, payant de faibles impôts, établissant sans contrôle les taxes relatives aux dépenses locales, ayant enfin devant leurs seigneurs des allures indépendantes qu’aucune classe des sociétés du Continent n’oserait prendre aujourd’hui devant la bureaucratie européenne. (la Réforme sociale, t. III, p. 303. )

    À l’appui de l’opinion de ces historiens spéciaux, on peut citer le récit suivant de Joinville sur l’arrangement qu’il fit avec ses vassaux, lors de son départ pour la croisade. « À Pâques, en l’an de grâce 1248, je mandai mes hommes et mes fieffés à Joinville. Je leur dis : Seigneurs, je vais outre-mer, et je ne sais si je reviendrai. Or, avancez ; si je vous ai fait tort de rien, je vous le réparerai, l’un après l’autre, ainsi que je l’ai accoutumé, à tous ceux qui voudront rien demander de moi ou de mes gens. Je le leur réparai de l’avis de tous les habitants de ma terre ; et, pour que je n’eusse point d’influence, je me levai du conseil, et je maintins sans débat tout ce qu’ils décidèrent. » (Joinville, Histoire de saint Louis, xxv.)

  1. Les Coustumes du pays et comté du Maine, citées par M. L.