Page:Le Rouge et le Noir.djvu/171

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figure de ce jeune bourgeois de campagne, qui, arrêté à trois pas du poêle, et son petit paquet sous le bras, considérait le buste du roi, en beau plâtre blanc. Cette demoiselle, grande Franc-Comtoise, fort bien faite, et mise comme il faut pour faire valoir un café, avait déjà dit deux fois, d’une petite voix qui cherchait à n’être entendue que de Julien : Monsieur ! monsieur ! Julien rencontra de grands yeux bleus fort tendres, et vit que c’était à lui qu’on parlait.

Il s’approcha vivement du comptoir et de la jolie fille, comme il eût marché à l’ennemi. Dans ce grand mouvement, son paquet tomba.

Quelle pitié notre provincial ne va-t-il pas inspirer aux jeunes lycéens de Paris qui, à quinze ans, savent déjà entrer dans un café d’un air si distingué ? Mais ces enfants, si bien stylés à quinze ans, à dix-huit tournent au commun. La timidité passionnée que l’on rencontre en province se surmonte quelquefois, et alors enseigne à vouloir. En s’approchant de cette jeune fille si belle, qui daignait lui adresser la parole, il faut que je lui dise la vérité, pensa Julien, qui devenait courageux à force de timidité vaincue.

— Madame, je viens pour la première fois de ma vie à Besançon ; je voudrais bien avoir, en payant, un pain et une tasse de café.

La demoiselle sourit un peu et puis rougit ; elle craignait, pour ce joli jeune homme, l’attention ironique et les plaisanteries des joueurs de billard. Il serait effrayé et ne reparaîtrait plus.

— Placez-vous ici près de moi, dit-elle en lui montrant une table de marbre, presque tout à fait cachée par l’énorme comptoir d’acajou qui s’avance dans la salle.

La demoiselle se pencha en dehors du comptoir, ce qui lui donna l’occasion de déployer une taille superbe. Julien la remarqua ; toutes ses idées changèrent. La belle demoiselle venait de placer devant lui une tasse, du sucre et un petit pain. Elle hésitait à appeler un garçon pour avoir du café, comprenant bien qu’à l’arrivée de ce garçon, son tête-à-tête avec Julien allait finir.