Page:Le Rouge et le Noir.djvu/187

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La mélancolie de Julien, aidée par la médiocre nourriture que fournissait au séminaire l’entrepreneur des dîners à 83 centimes, commençait à influer sur sa santé, lorsqu’un matin Fouqué parut tout à coup dans sa chambre.

— Enfin j’ai pu entrer. Je suis venu cinq fois à Besançon, sans reproche, pour te voir. Toujours visage de bois. J’ai aposté quelqu’un à la porte du séminaire ; pourquoi diable est-ce que tu ne sors jamais ?

— C’est une épreuve que je me suis imposée.

— Je te trouve bien changé. Enfin je te revois. Deux beaux écus de cinq francs viennent de m’apprendre que je n’étais qu’un sot de ne pas les avoir offerts dès le premier voyage.

La conversation fut infinie entre les deux amis. Julien changea de couleur, lorsque Fouqué lui dit :

— À propos, sais-tu ? la mère de tes élèves est tombée dans la plus haute dévotion.

Et il parlait de cet air dégagé qui fait une si singulière impression sur l’âme passionnée de laquelle on bouleverse, sans s’en douter, les plus chers intérêts.

— Oui, mon ami, dans la dévotion la plus exaltée. On dit qu’elle fait des pélerinages. Mais, à la honte éternelle de l’abbé Maslon, qui a espionné si longtemps ce pauvre M. Chélan, madame de Rênal n’a pas voulu de lui. Elle va se confesser à Dijon ou à Besançon.

— Elle vient à Besançon ! dit Julien, le front couvert de rougeur.

— Assez souvent, répondit Fouqué, d’un air interrogatif.

— As-tu des Constitutionnels sur toi ?

— Que dis-tu ? répliqua Fouqué.

— Je te demande si tu as des Constitutionnels ? reprit Julien, du ton de voix le plus tranquille. Ils se vendent trente sous le numéro ici.

— Quoi ! même au séminaire, des libéraux ! s’écria Fouqué. Pauvre France ! ajouta-t-il, en prenant la voix hypocrite et le ton doux de l’abbé Maslon.

Cette visite eût fait une profonde impression sur notre héros, si dès le lendemain, un mot que lui adressa ce petit sémina-