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PREMIÈRE ANNÉE. – No 4. 15 Centimes. DU M OCTOBRE AV « NOVEMBRE 1886.


LE SYMBOLISTE
JOURNAL LITTÉRAIRE ET POLITIQUE PARAISSANT LE JEUDI

GUSTAVE KAHN

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SOMMAIRE

I. M. Gustave Kahn : Théâtres.

II. M. Plowert : Parenthèses et Incidences.

III. M. Jules Laforgue : A propos de toiles, çà et là.

IV. M. Jean Ajalbert : Actualités.

V. M. Camille de Sainte-Croix : Contempler.


THÉATRES

L’homme essentiellement aime le spectacle, et, trop ini- tial encore presque toas) pour saisir l’existence dû spec- tacle universel et perpétuel, désire qu’on le lui découpe, qu’on lui indique violemment les symboles et les concor- dances, et ce, dans des salles spéciales et selon des recettes déjà vues. De là sous ses formes diverses ce diver- tissement en général goûlé du théâtre. Le spectacle est d’ailleurs dans l’épisode de la vie. Un homme passe gesticulaloae, ou seulement diffèrent d’aspect ; on le suit des yeux cherchant à deviner son secret. Les rixes, les discussions dut leur public, toujours ; l’ambulant sou- cieux de vendre plaisante, épilogue et ramasse autour de lui les passants. Bien des gens et non pas fous, perdent à des moments la conscience de leur individu ou la trans- posent.

Chefs de guerre ils défilent selon un rythme dans le fracas des clairons, puissants orateurs ils pérorent, sau- vent la patrie, et parfois même dans ces débauches de l’esprit à tide ils ne sont que les spectateurs, et ce sont les carnages, les gloires, les pompes, tes bras tendus, et résurgent dans un cadre objectivé et grandi les souve- nirs »

En l’état d’ivresse, le malade cause, sematamorise ou s’attriste. Après les éructations d’un moi orgueilleux vien- nent les évocations dans une durée imaginaire de désirs, ou des concordances nouvellement saisies, des vies banales autres que celles du sujet, reconstituées avec les éléments de ce qu’il a mené dans les années. Des attentions cu- rieuses, ou les habitude » devant un signal d’existence figé le retiennent, il regarde se Pft*ser> Ces rythmes pour lui s’animent, deviennent généraux – une quasr-création s’opère, intense ou débile selon les facultés de l’ivrogne en somme une allance reconstituée avec des élément ! » con- nus, c’est un spectacle.

La forme la plus simple dn théâtre serait donc quel- ques ais sur des. chevalets, et dessus se passerait quoi que ce soit. – On eut ainsi Tabarin et Gaultier Garguille. Deux personnes mimèrent des douleurs, des signes de désir, se fuirent, se cherchèrent, se dupèrent, de là la comédie. ce fut la prouesse du corps humain, delà les gladiateurs, les cirques. De la nécessité des temps, des littératures, de révolution de la conscience, survînt le besoin d’un témoin. Le chœur sillonna de lents propos les tragédies, le spectre marcha dans Hamlet. Pierrot parut aux pantomimes. Le théâtre était fondé.

Le théâtre actuel n’est aucunement du ressort de l’art, mais bien se conçoit et s’écrit d’aprè3 les pathologies plus haut indiquées. Des amours de clerc de notaire, des pro- pos de frivoles errantes, de* farces avinées de calicots, ou des drôleries confites de gens qui s’amusent att dessert. il est confortable et pas gênant pour le repos d’esprit des petites filles héraut encore de la gloire possible des jeunes bourgeois comme métallurgistes, perceurs d’isthmes. officiers d’Afrique et de marine. Il dit la femme qui se drape, le bossu qui se sacrifie. le patriote qui lève un sabre quelquefois sa coiffure au bout.

Il utilise les pachydermes, les chevaux, les chèvres se module quelquefois en de si vagues musiquettes. Son in- térêt s’il en est un, se formerait à certains décors, très étincelants pour le piteux verbiage qu’on y débite, et l’im- pression serait oter de là ces voix vagues et vêlantes d’absurdités blanches. Otez ce chevalier coiffeur et cette poupée de cire, et cette vieille dame que l’on lace en je ne sais quelle Juliette. Et pourquoi tous ces gestes pour ce rien qu’on feint d’agiter ?

Le silence, nous vous prions, pour n’être pas gêné à voir ce décor.

Restent les quelques œuvres dites classiques qu’on— a l’habitude d’interpréter hiéiatiquement.

Sans en faire le moins du monde bon marché* indiquons qu’elles sont déparées par la sotte diction des vers, de plus trop connues et d’une façon si conventionnelle, qu’il est presque impossible à un homme même très lettré de se les figurer exactement à travers le carnaval officiel et académique qu’elles subissent.

Que pourrait-on trouver dans le passé Une curieuse mise en scène et la belle traduction de quelque drame es- chylien. Quelque mystère du moyen âge aveu sa Vierge et son Christ, et sa scène en tryptique horizontal puis ce Shakespeare si malmené de nos instants, — dont le théâ- tre conçu avant l’existence des décors les comportent tous.

Roméo, le Songe, la Tempête, te Conte d’hiver seraient d’admirables spectacles, et quelles lunaires évocations 1 mais ce domaine, comme le ciel, appartient aux pau- vres d’esprit, et les directeurs de leur en couper des tran- ches à galvauder de leur patois. Gozzi est un inconnu pour tous ; ses farces, ses canevas de féeries, que les poètes pourraient remplir de fantaisies, restent enclos dans un volume peu feuilleté. Le Faust n’est pas joué, et, plus près de nous, Wagner est exilé de Paris par les sociétés de gymnastique.

Quel théâtre cependant, sans même se recrier comme il convient à la sublime musique. Le Venusberg, dans ses pâleurs roses, la foule ordonnée des landgraves et des chevaliers, écoutant les joutes de trouvère ; et dans le calme abandonné des vespérales campagnes l’apparition, les bras en croix de désir, de la Vénus ; et ce Lohengrin, imprévu que la conque, attelée de cygne, mène vers l’Eisa agenouillée et le Hollandais, par une porte pous- sée sans bruit, lentement glissant, sous son image colo- riée » comme en un rêve de Senta et le vaisseau de Tris- tan, leur grand parc solitaire et passionnel ; la chevauchée dans les nuages d’étincelantes Walkures, ai bras érigeant la javeline les nymphes du Rhin.

Et les Graals, les Walhallas et la marche lente et ca- téchumène deParsifal, au milieu des Filles-Fleurs. On n’s peut-être pas assez dit combien fut précurseur le Wagnei poète qui réveilla la légende, et, toute parée de musicalt atmosphère, ramena présente, enlaçante de tout soi lointain, et ses timbres perdus la perpétuelle Loreley aux yeux pleins de banals cortèges et de chœurs, le bfoi à la main, versons encore tu m’aimes, je t’aime – étant auparavant les uniques ressorts de ces ridicule pnachin » .

Encore ? Les courageux et charmants mais de Théo- dore de Banville, vers une comédie libre et versifiée, arabesque et caprice – mais encore presque toutes s’em- portent chez soi, et nul décorateur ne fut convié à les orner, ni nul poète à les entendre incarnées.

Des essais de M. Paul Verlaine subsiste la très jolie saynète, les Um et les Autres. Le fragment à’Hérodiade n’est qu’une scène racinienne aux très beaux hexamètres.

La littérature a donc ces temps, et de par des impossi- bilités contingentes, peu fait pour le théâtre, et rien n’est à voir que des clowns anglais, des équilibristes, l’impression tumultueuse de quelques hétéroclites bal- lets, et le canaille et pimenté café-concert..

En ces conjonctures se présente, plausible, en de pe- tites salles pour les aristocrates, un développement de la comédie shakespearienne, la’création par les poètes dé fictions légères et fugaces, édictées avec toutes les res- sources du rythme, acheminant les publies par des notes matérielles incrustées dans leurs cerveaux à savourer le livre, non plus le racontar contemporain, mais le livre suggestif d’évocation.

Plus encore un art du ballet, mais si long encore à ins- tituer par la connaissance absolue des rythmes et la science des milieux ésotériques. Mais elle serait, dès maintenant, réalisable, une esthétique du théâtre qui, bannissant l’inutile parole du comédien, empruntant à la symphonie la mise en milieu, donnerait de rapides tableaux vus par le spectateur eu une brève minute, lui laissant le souvenir de l’ordonnance d’ensemble et l’in- quiétude des détails seulement aperçus..

Avec la rapidité du machiniste, ne pourrait-on donner l’impression d’un développement de spectacles tel dans le livre de Quincey, à des claquements de mains s’éva- nouit une vision moderne, pour laisser revoir les cohortes du consul Paul-Emile. Faire pour les yeux, les oreilles, le cerveau, une renaissante évocation des choses disparues des anciennes consciences et ne laisser l’homme reprendre qu’à la sortie sa vestilure et ses pensées de dix-neuvième siècle, à côté de ce grand drame muet ; car que diraient les’personnages de plus explicite que leur- présence et leur mouvement, ta comédie italienne, ou même l’adaptation de tous les types comiques des imagi- nations populaires serait la comédie, et la parole serait inutile à ce Kaléidoscope des mœurs, comme à ce kaléi- doscope des temps et des légendes.

Qu’on n’objecte pas l’impossibilité et les frais des changements de décors. If. Stéphane Mallarmé s’éton- nait, un jour, que les sommes d’avance refusées au poète pour la mise en œuvre d’une de ses fantaisies, fus- sent prodiguées aux farceurs de bas-étages qui mènent le prince Zinzolin fut palais des Pieds de Mouton. Et, certes, nul imprésario, sous peine d’être bafoué de ses confrères, ne s’avisera d’aller demanderune féerie à quel- que grand poète, fût-ce reconnu comme Banville ou Ver- laine. C’est là une des nombreuses formes de la haine de l’art, si enracinée chez les Wotiens et les folâtres.

La comédie, moderne est-elle absolument impossible ? Non, certes, mais toute à créer.

Des lignes s’en indiquent chez ces clowns merveilleux dont nous avons déjà parlé, comme d’un des rares spec- tacles possibles. Quelle trouvaille I nomme en habit noir, se livrant, muet, à des. décompositions d’existence, tantôt satyrique, tantôt outré et farce, c’est-à-dire à une t période spéciale d’imbécillité qui lui fait se chérir en ses rythmes les plus indifférents. – De cet élément, dégage de son bruit indifférent de parodie musicale, de sa gym- nastique uniquement de fonction, peut naître une vio-