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V

rales et littéraires. Je fondai alors, de concert avec quelques jeunes gens bien intentionnés, la société dite Salve[1]. Le but principal de cette société était de nous préserver d’un assoupissement complet, et de fournir à d’autres Européens, nouvellement débarqués et encore en possession de toute leur activité et de tout leur amour de l’étude, l’occasion de se garantir des premières atteintes de l’indifférence en fait de culture de l’esprit, par suite du défaut de coopération et d’émulation que nous avions vu démoraliser complètement une foule de jeunes gens, si intelligents, si nobles et si généreux au moment de leur arrivée en l’île de Java.

Parmi les membres de cette société, mon ami E. W. King était le plus orthodoxe et le plus militant. Aucune soirée ne se passa que lui et moi nous n’eussions ensemble de chaudes discussions sur quelques sujets de théologie ou de philosophie. Les effets de ces discussions ne se sont pas fait attendre. Plusieurs années après, en 1859 je crois, j’ai revu le digne garçon à Amsterdam. Il venait se faire confirmer comme missionnaire ; mais, ne trouvant pas la foi qu’il cherchait, même parmi les dissidents les plus arriérés de la Hollande, il passa en Écosse, le seul pays, comme il m’assurait, la foi antique eût été conservée dans toute sa pureté. Quant à moi, je ne me rappelle pas trop bien le cercle d’idées dans lequel je me mouvais lors de la constitution de la société "Salve" ; mais je sais bien qu’en 1844 j’avais déjà rejeté comme absurde le dogme de la divinité de Jésus, et qu’en 1852 j’admettais encore un Dieu spirituel, âme universelle de l’univers et son créateur. Ces huit années se passèrent dans une lutte continuelle entre les préjugés de mon éducation, et mon bon-sens naturel. Les discussions avec King surtout me fournirent contre la foi des argumens d’une telle force, que souvent, après une soirée un peu orageuse, lorsque je revenais dans mon modeste logis et que je méditais sur la justesse de tout ce que j’avais dit en défense

  1. Au mois de Mai 1848.