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« THE BORE », MASCARET À MONCTON (PAGE 538). — DESSIN DE GOTORBE. — LIGNE DE L’« INTERNATIONAL RAILWAY OF CANADA ».

sembler le soir dans la maison d’école pour discourir sur quelque sujet mis à l’ordre du jour. Après souper, M. le curé voulut bien me conduire à cette réunion où je trouvai une nombreuse assistance des deux sexes et de tout âge, en majorité française. Le président, M. Dumas, apprenant qu’un Français de France se trouvait présent, me demanda de prononcer quelques paroles, et je n’avais, de ma vie, ouvert la bouche en public ! Jugez de mon embarras, voire de ma confusion : j’étais au pied du mur, il fallait s’exécuter. Qu’allais-je donc dire, et comment le dirais-je ?

Habitants de la Grande Anse, si jamais, sur le tard, je deviens orateur, vous pourrez vous vanter d’avoir eu la primeur de mon talent !

À défaut de talent, le cœur y était, du moins, et c’est lui qui me dicta les quelques mots que je leur dis ; je leur fis aussi des compliments sur leur accent qui, certes, est bien meilleur, non seulement que celui des Canadiens, mais encore que celui de certaines provinces de France, ce qui peut s’expliquer par ce fait que les premières familles venues en Acadie, sous Louis XIII, avaient été amenées, par d’Aunay, de Touraine.

Quand j’eus cessé de parler — ce qui ne fut pas long — on aborda l’ordre du jour. La question à débattre était la suivante : Que vaut-il mieux, pour un jeune homme : débuter dans la vie avec de l’instruction mais sans fortune, ou avec de la fortune mais sans instruction ?

La majorité du public se rallia, je me hâte de le dire, à la première partie de la proposition, et j’admirai l’aisance et la correction avec laquelle les orateurs des deux langues exprimaient tour à tour leur opinion. Sur ce point, comme sur beaucoup d’autres, sans doute, l’éducation américaine est bien supérieure à la nôtre ; que de Français n’ai-je pas vus, et non des moins instruits, qui se sentaient carpes devenir, au moment de parler en public, tandis que de l’autre côté de l’Océan, tout homme est exercé dès l’enfance à exprimer ses idées clairement et sans fausse honte.


III

L’ISTHME

Miramichi. — Moncton. — Memramcook. — Shediac. — Le Cap-Pelé. — Amherst. — Fort Beauséjour.


En prenant congé de M. le curé de la Grande Anse, qui voulut bien promettre de me rejoindre quelques jours après pour visiter ensemble le Cap-Breton, je retournai reprendre à Bathurst la grande ligne de l’Intercolonial pour me rendre à Memramcook demander l’hospitalité aux Révérends Pères du collège Saint-Joseph. Chemin faisant, j’eus le temps d’admirer, des fenêtres du wagon, les rives si pittoresques du Mira-