Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 08.djvu/293

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de Léon, de tant d’attaques des Anglais, depuis 1186 où Guyomarc’h, comte de Léon, prend la ville au duc Geoffroi, pour la laisser ravir, l’année suivante, par les Anglais qui y tiennent garnison avec l’assentiment des ducs. L’honneur de Morlaix, c’est qu’il y a sans cesse une population obstinée de bourgeois et d’artisans qui repoussent tous les jougs et veulent leurs franchises. Les rébellions sont nombreuses, la garnison anglaise est massacrée en 1372, mais les rebelles sont matés par le duc Jean IV, et cinquante d’entre eux sont pendus. Nouvelle révolte en 1376, la garnison exterminée et chassée, les portes ouvertes aux Français, puis la ville se gouvernant elle-même, puis le retour des ducs, et les guerres de la Ligue, et la ville ralliée seulement en 1594 au gouvernement de Henri IV. En 1562, les habitants avaient déjà obtenu des lettres patentes leur donnant droit d’élire un maire et des échevins ; en 1568, la ville, pourvue d’une cour de juridiction, fut érigée en siège de gouvernement. On ne voit tout cela, du viaduc, à travers les fumées légères et bleuâtres, que si on veut le voir et si on sait le voir, de même que l’on ne voit qu’en imagination sur la colline, au-dessus de l’hôpital, le château qu’habitèrent les ducs et le parc immense où ils donnaient des chasses. Ce qui reste de ce temps, c’est la maison dite de la duchesse Anne, dans la rue des Nobles, occupée par un marchand qui exige une rétribution des visiteurs, alors qu’elle devrait appartenir à la ville et être offerte gratuitement à la curiosité. Car elle vaut la peine d’être parcourue, du rez-de-chaussée au toit, de la salle des gardes, ancienne cour éclairée de lanterneaux, jusqu’aux charpentes de soutènement des angles, ornées de statues de bois sculpté. Un merveilleux escalier, fin et nerveux, tourne derrière un pilier de bois ouvragé qui supporte un combat de saint Michel et du Démon, et dessert les deux étages à droite et à gauche. L’extérieur et l’intérieur sont restaurés, mais j’ai vu la maison dans son état de délabrement, il y a des années, alors que les planchers étaient crevés, les marches disjointes, que l’on ne pouvait poser le pied nulle part, et je dois reconnaître que la restauration a été respectueuse et adroite. Que la duchesse Anne ait habité ici, je n’en sais rien. On le dit, sans doute avec quelque raison. Ce qu’il y a de plus certain, c’est que, devenue reine de France, Anne revint à Morlaix lors du voyage en Bretagne qu’elle fit en 1505, et qu’elle fut logée au couvent des Jacobins. À son arrivée, la communauté de ville lui offrit un petit navire tout en or, garni de pierreries, et une hermine apprivoisée. Un arbre généalogique, à la manière des arbres de Jessé, fut planté, représentant l’ascendance de la reine depuis le roi de Bretagne, Conan Mériadec : au sommet de l’arbre, une belle jeune fille morlaisienne était perchée qui harangua fort bien la souveraine. La période de la Révolution fut agitée à Morlaix, comme dans nombre de villes de Bretagne aux passions ardentes.


(À suivre.) Gustave Geffroy.



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