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France. » La procession part de l’église, s’arrête à différents endroits, entre autres à la roche appelée la Jument de pierre, à laquelle on attribue un pouvoir fécondant : les jeunes femmes viennent s’y frotter, des femmes stériles sont venues y coucher trois nuits de suite. Les écrivains catholiques dénoncent ces pratiques comme ridicules, mais rien n’a fait jusqu’à présent contre l’usage. Plus loin, c’est la pierre où saint Renan aimait à se reposer, et où viennent s’asseoir les malades affligés d’affections nerveuses. Enfin, il est dit que les gens de la paroisse, à qui échoit l’honneur de porter la bannière, jouiront pendant sept ans de toutes sortes de bienfaits : bonnes récoltes, pêches heureuses, enfants mâles.

Pendant que je suis à Locronan, et que je m’inquiète des pèlerinages, je puis gagner la côte par Plonévez-Porsay pour visiter la chapelle de Sainte-Anne-la-Palue. C’est à quelques pas de la mer, au bout d’un chemin. Le gardien est un métayer voisin. Il ouvre la porte, me montre la statue en granit de sainte Anne, bonne sculpture du xvie siècle. Des ex-voto pendent à la muraille, cannes, béquilles, chiffons. On vient ici en pèlerinage, le dernier dimanche d’août. La veille est le jour des mendiants qui n’ont pas le droit de revenir, ce qui différencie sensiblement des autres assemblées le pardon de Sainte-Anne-la-Palue. Il a encore ceci de particulier, qu’en glorifiant sainte Anne, il fait tranquillement de Jésus-Christ un Breton authentique. Écoutez plutôt. Mariée à un seigneur méchant et jaloux qui détestait les enfants et n’en voulait pas avoir, Anne fut maltraitée et chassée une nuit par son époux, au moment où celui-ci s’aperçut de sa maternité prochaine. La pauvre femme abandonna le château de Moëllien et se dirigea vers la mer où elle aperçut une lueur. C’était une barque que gouvernait un ange. Elle y monta, navigua longtemps, bien longtemps, et finalement débarqua en Judée où elle mit au monde la vierge Marie. Elle revint en Armorique de la même façon, y fut accueillie avec des transports de joie, car on lui croyait le pouvoir d’apaiser les éléments et de guérir les maladies. Des années et des années après son retour, elle reçut la visite de son petit-fils, Jésus, venu pour solliciter sa bénédiction avant de commencer à prêcher l’Évangile. Jésus, sur le désir de son aïeule, fit jaillir une fontaine auprès de laquelle on bâtit la chapelle, qui devait être l’asile des infirmes et des misérables. Quand Anne mourut, on chercha partout, mais vainement, sa dépouille, on ne la retrouva que bien des années plus tard baignant dans les flots, encroûtée de coquillages.

UN REPOSOIR, AVEC UNE GRANDE STATUE EN BOIS PEINT.

De Locronan à Douarnenez, il y a la route qui conduit directement sur la baie, après avoir longé la forêt de Névet, le manoir de Cozcastel, traversé le hameau de Kerlaz dont les clochetons dominent la route. La contrée est charmante, couverte d’arbres, et c’est un enchantement que le spectacle grandiose de la baie de Douarnenez tout à coup découverte. Au delà du talus qui borde la route, on a en face de soi la vaste étendue de mer arrondie par la côte, la baie largement ouverte, l’entrée indiquée par la pointe surplombante du cap de la Chèvre. On voit étinceler au loin les falaises de Morgat, s’avancer les pointes du Bellec, de Talagrip, de Trefuntec. Douarnenez est blotti à gauche dans le coin le mieux abrité, avec l’île Tristan comme brise-lames, puis la côte file à peu près droit, inclinant légèrement vers le sud, jusqu’à la pointe du Raz. Par un beau temps, sous un ciel bleu, lorsque la mer est aussi d’azur et que la crête argentée de ses vagues brille au soleil, on ne se croirait plus au pays d’Armor, dans la contrée des pluies et des brumes, mais au bord de la