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le noir du soir. La femme reste au logis, occupée aux mêmes labeurs entre les départs et les retours.

Elle a appris à connaître les chances des bonnes arrivées. Elle sait, par la fraîcheur de l’air, par la direction du vent, par la couleur du ciel, comment les barques parties avec le reflux se comportent en mer et doivent revenir avec le flux. Elle sait, sans carte et sans boussole, que tout doit se passer régulièrement, ou bien qu’un grain menace et que le danger va s’embusquer et surgir à chaque gonflement du flot. C’est alors qu’elle sort de chez elle, dans le bruit de l’ouragan qui commence et dans l’atmosphère de couleur funèbre qui pèse sur la côte. Il en est ainsi chez toutes les femmes du village. Elles sortent toutes à la fois, car le même avertissement leur a été donné au même instant par les choses. Toutes, elles ont été prévenues par les signes de mauvais présage, comme elles sont apaisées d’habitude par les promesses de sécurité.

Ces événements arrivent, ces situations existent. Parmi les habitants des villes qui s’en viennent tous les ans aux bains de mer, pendant quelques semaines ou quelques mois, il en est beaucoup qui n’apprennent rien de la vie des pécheurs et de la vie de leurs familles. Ils ne savent que la plage, les bains, les courses, les régates, le casino, la mer aimable, la chanson des vagues, la joie de l’air et de la lumière. Il faut leur dire qu’après les doux étés et les dernières grâces de l’automne, les aspects changent, la mer s’encolère, les gens des côtes ont à subir de terribles rencontres où le vent et l’eau ont facilement raison des misérables embarcations. Quand les promeneurs reviennent, l’année suivante, aux beaux jours, il y a des veuves et des orphelins non loin de la plage élégante où les femmes se promènent en toilettes claires. Ceux qui ne connaissent que les sourires de la mer ont raison de s’apitoyer alors, et d’aider à réparer, comme ils le peuvent, les fureurs de la bourrasque et les crimes de la tempête…

UN VIEUX BRETON.

C’est à cela que je songe en regardant çà et là, au long de la rue de la Verdure, qui aboutit à un chemin largement ombragé menant à la mer, de la rue Jean-Bart, parallèle à la côte, et qui conduit à l’église. La construction est moderne, dominée par une tour carrée percée d’un portail où quelques détails de sculptures évoquent la vie marine : un bâtiment, des sardines. À l’intérieur, c’est le même genre de décoration logique : un bas-relief représente une pêche miraculeuse, peut-être celle dont parle Borlase, qui eut lieu le 5 octobre 1767, où l’on prit, en quelques heures, dans la baie de Saint-Yves, 245 millions de sardines. C’était le bon temps, non pour les sardines, mais pour les pêcheurs. Il existe à Douarnenez une autre église, Sainte-Hélène, et une chapelle dédiée à saint Michel. La voûte de bois de cette dernière est peinte de sujets naïfs ; mais on y conserve aussi un tableau de l’apparition de la Vierge qui est attribué au pompeux Le Brun. Autour de tout cela l’animation est grande. On appareille jusqu’à une date avancée de l’hiver pour la pêche à la sardine, et aussi pour la pêche au maquereau sur les côtes d’Écosse. Toute la population, hommes et femmes, s’agite, transporte des paniers, traîne des haquets. Et précisément, le jour où j’observe cette activité, la pêche a été abondante, mais non trop abondante, comme en 1888 où l’on dut vendre les sardines comme engrais, à raison de un sou le mille ! Le mouvement déborde Douarnenez, va d’un côté jusqu’au port de Tréboul, de l’autre jusqu’au bourg de Ploaré, un groupe de maisons dominé par un beau clocher, et qui forme, en quelque sorte, un faubourg de Douarnenez. Quatre heures sonnent. C’est la sortie de l’école. Presque immédiatement les rues se remplissent d’enfants, une vraie foule, remuante, gesticulante, jacassante. Je crois que je n’ai jamais vu tant d’enfants ni tant d’yeux bleus réunis. Des petits garçons qui ressemblent déjà à des marins, des petites filles, sœurs des aînées que Sully-Prudhomme a chantées :

À Douarnenez en Bretagne
Le cœur des filles ne se gagne
Que dans la langue du pays.

La langue du pays est ici singulièrement animée. Dans toute la contrée qui a Quimper pour centre, cette langue est sensiblement différente de la langue parlée à Morlaix et à Saint Pol-de-Léon, et surtout la