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grain. Aujourd’hui, tout semble désert sous les larmes de la pluie. Une grenouille saute dans une ornière, un chat file prestement au ras d’une muraille. Il est inutile de songer, cette fois, à gravir les pentes de la principale bosse du Méné-Hom, qui est un massif composé de plusieurs mamelons aux lignes admirables, lentes et longues. La plus grande hauteur n’est pas considérable, puisqu’elle n’atteint que 330 mètres, mais je me souviens que le spectacle aperçu de là-haut était de toute beauté, le jour de soleil où je fis la courte ascension parmi les bruyères sèches et les pierrailles, pendant que sur la terre crevassée et chaude bourdonnaient les insectes et glissaient les reptiles. Devant moi, c’était la presqu’île de Crozon, séparant la baie de Douarnenez de la rade de Brest, deux étendues d’eau également magnifiques par l’aspect grandiose, différentes de formes, la baie de Douarnenez, vaste, arrondie, largement ouverte entre la pointe du Raz et le cap de la Chèvre, la rade de Brest, irrégulière, presque fermée au goulet, divisée par l’avancée de rochers de Plougastel. J’ai vu cela, bleu et éblouissant comme un paysage oriental. Cette fois, je ne verrais rien à travers l’opacité de la brume, et je suis à 200 mètres d’altitude, aussi bien qu’à 330 mètres, pour regarder tomber la pluie.

FEMME ET PETITE FILLE DE CROZON ALLANT À LA MESSE.
COIFFE DE LA PRESQU’ÎLE DE CROZON.

C’est donc sous la pluie que je continue ma route, isolé des choses par l’averse fine et grise. Mais il ne faut pas aller en Bretagne si l’on n’aime pas la pluie. Elle a son charme monotone, elle repose de l’éclat du soleil, des couleurs nettes, des paysages trop vite aperçus. Elle embrouille tout sous ses écheveaux, qui sont ici presque invisibles, à ne pas trop savoir si c’est de l’eau qui tombe ou une brume qui erre. Elle crée une étendue mystérieuse où les formes surgissent lentement, laissant à deviner les collines, les arbres, les maisons, les rares passants. Elle est aussi la magicienne qui fait évaporer les parfums des feuillages et du sol, et c’est un délice que de respirer l’odeur des verdures et de la terre, à travers laquelle se joue la rude brise saline qui vient de la mer invisible. Tout a une fin, d’ailleurs, et même en Bretagne la pluie cesse. C’est alors, comme par le chemin qui conduit à Crozon, un beau paysage frais et lavé, et tout ce qui annonce l’approche de l’océan, les sentiers de sable blanc, les herbes sèches, les petits pavots bleus, les traînées de goémon. Le bourg est sur la hauteur des maisons encadrant régulièrement une grande place plantée d’arbres. Le sol aux alentours est à peu près inculte, on ne voit guère, dans le paysage dénudé, que des moulins à vent qui tournent, ce qui suppose tout de même blé de froment, blé noir, seigle ou orge. L’activité est sur la mer, l’espoir de gagner sa vie est confié aux hasards de la pêche à la sardine, et l’on sait que cet espoir est trop souvent trompé. À part l’église où je vois un beau retable, il n’y a pas de monuments et de