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dominée par le Méné-Hom, c’est la chapelle Saint-Herbot, avoisinée d’un tumulus, et c’est le village et le dolmen de Rostudel. La terre finit là, tombe d’une hauteur de 100 mètres dans la mer. C’est le cap de la Chèvre, qui commande de ce côté la large entrée de la baie de Douarnenez. De l’autre côté, c’est la pointe du Raz. Par un mauvais temps, à ce cap de la Chèvre, la mer est terrible. Elle arrive d’une force à laquelle rien ne peut résister, les énormes lames se chevauchent les unes les autres. Le ciel menace comme l’océan. La côte aux longues avancées devient noire au-dessus de l’eau livide. Il n’est pas de paysage plus grave et plus désolé.

UN JARDIN, À LANDÉVENNEC, REMPLI DE PLANTES EXOTIQUES.

Je quitte la presqu’île de Crozon par la route qui conduit à la rivière de Châteaulin et à Landévennec. Le joli bourg ! baigné par l’Aulne et la rivière du Faou. La verdure a reparu. C’est le bois du Folgoët, en mémoire de Salaün ar fol, que nous avons rencontré dans une autre région, au Folgoët près Lesneven. En face, c’est l’île de Térénez, et les ruines de l’abbaye au-dessus de l’anse de Penforn où se dresse la pierre du Moine en robe et en capuchon. La légende voit en cette pierre le corps pétrifié d’un religieux condamné pour mœurs dissolues à demeurer là jusqu’au jugement dernier. En face, au-dessus des méandres des rivières, la fin des montagnes Noires, et le commencement des montagnes d’Arrée, les bosses du Méné-Hom et les arêtes rocheuses de Braspart et de la Feuillée, au-dessus des collines verdoyantes d’où émergent les clochers des églises et des chapelles et les toits des châteaux. Les magnifiques paysages abondent. C’en est un, et des plus beaux, que celui-là, aperçu du cimetière, derrière le chevet de l’église, toute une vue de côte et de mer à travers les grands arbres qui abritent les tombes. C’en est un autre que le Sillon des Anglais, des landes, des bois qui descendent vers la mer, une découpure allongée et élégante de la terre, une vision nette et résumée comme celles des estampes japonaises. C’en est un autre que celui de Térénez, station navale, baie encadrée de verdure, eau tranquille où surgit quelque navire au repos. L’abbaye de Landévennec se date du ve siècle avec saint Guénolé pour fondateur et le roi Grallon, au vie siècle, comme hôte funèbre. Il ne reste que pierres ruinées de l’antique bâtisse, sauf un portail romain. On vous montre la place du tombeau de Guénolé, le trou où fut enseveli Grallon, et quelques statues et débris de statues. Ce n’est plus qu’un fouillis de verdures, une forêt de fougères. On finit par découvrir, dans cet amas presque inextricable, quelques pierres éparses, un débris de colonne, les marches disloquées d’un escalier, puis, émergeant de la verdure, envahie par les plantes grimpantes, la statue de l’évêque, couvert de son manteau, mitre en tête, un livre à la main : la tête inclinée, méditatif et solitaire, il n’est plus, comme le reste, qu’un débris retourné à la nature, l’évêque des liserons et des ajoncs, des fourmis qui cheminent, des abeilles qui bourdonnent, des couleuvres qui rampent, des oiseaux qui volent. On quitte toute cette poussière pour retourner au bourg où l’on trouve la vie tranquille, morne même, mais plaisante et chaude, après le contact de toutes ces pierres tombales et de ces statues de vieux saints morts. Ces bourgs bretons sont les endroits les plus réconfortants du monde. Leur physionomie est grave, mélancolique comme il sied en des lieux si proches des grandes tristesses de la nature, la mer, les rochers, les étendues dévastées par le vent. La vie y est recueillie, concentrée, mais elle prend néanmoins sa valeur. Au sortir des solitudes, on a un frisson d’aise à marcher sur le pavé inégal, sur des bouts de trottoir, à s’arrêter devant une boutique d’horloger, de drapier, de boulanger, de charcutier, on est content de trouver un bureau de tabac, de voir quelqu’un sur le pas d’une porte, quelqu’un qui traverse la rue, des enfants qui reviennent de l’école. Vienne le jour du marché, c’est la grande animation. Il semble que le monde entier, avec tous ses hommes, ses femmes, ses animaux, se soit donné rendez-vous sur la place et dans les rues avoisinantes. Tous les produits de la terre aussi sont là, les viandes, les légumes, les grains, les fruits. La vie sociale s’épanouit avec l’inquiétude des marchandages et la gaieté des aubaines. Quand on a douze ans, quinze ans,