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actuel n’est pas disposé à commencer. Sa décadence sera peut-être reculée, car c’est encore le port le plus voisin de Séoul, capitale de la politique, des affaires et des entreprises étrangères. En été, on remonte directement jusqu’à cette grande ville par la rivière Salée, et, depuis trois ans, une ligne de chemin de fer, construite par les Américains, rachetée et exploitée par des capitalistes japonais, met Tchemoulpo à deux heures trente de Séoul.

Avant de quitter Tchemoulpo, nous allons à l’hôtel des Postes faire notre achat de timbres coréens, qui deviennent de plus en plus rares et font la joie des philatélistes ; grand fut notre étonnement quand nous fûmes reçus par deux jeunes employés, en costume du pays, parlant correctement le français, heureux de causer de la France et fiers d’en connaître la langue. Ils nous apprennent qu’ils sont élèves de l’école française de Séoul, fondée depuis quelques années et dirigée par deux de nos compatriotes ; cette école instruit environ soixante-quinze jeunes gens et fournit des interprètes à notre légation, aux ingénieurs concessionnaires de mines et aux différentes administrations locales. C’est le meilleur élément pour la propagation de notre influence ; le directeur jouit d’une autorité bien méritée par ses services passés : pendant les événements de Chine, il fut attaché au corps expéditionnaire par l’empereur lui-même, qui voulait être renseigné sur les affaires diplomatiques et militaires par une personne sûre et digne de sa confiance. Enfin, il a été chargé récemment de faire à Pékin les acquisitions de terrain nécessaire pour la construction de la légation que le Gouvernement coréen doit édifier dans la capitale chinoise.

La ligne de chemin de fer, de Tchemoulpo à Séoul, suit la vallée de la rivière Salée bordée de monticules que tachent les mausolées blancs des cimetières coréens ; ils sont disséminés au hasard dans la campagne, et, jamais, sous prétexte d’utilité publique, on ne les déplace ou les fait disparaître ; la religion officielle impose un grand respect pour les ancêtres, et chaque famille, comme en Chine, possède à la place d’honneur la tablette généalogique réservée, chez nous, aux grandes maisons ; à certaines époques de l’année — mi-février — les cimetières sont très fréquentés et jonchés de papiers multicolores, couverts de sentences et de vœux que la bise emporte aux défunts.

Nous traversons une région fertile, facile à irriguer, et les nombreuses rizières, autour des villages ou dans la plaine, donnent un aspect de richesse agricole à cette partie du pays ; c’est un peu le grenier de la Corée, et suivant que la récolte y est bonne ou mauvaise, l’exploitation du riz est permise ou prohibée par le Gouvernement. Les rois d’autrefois avaient créé dans les principaux centres des greniers de réserve, en cas de famine ; mais cette sage prévoyance a disparu des règles administratives coréennes, et il n’en reste plus aujourd’hui que les bâtiments vides ou délabrés.

À l’époque de notre voyage, le paysage manque d’intérêt ; les collines sont dépourvues de végétation, les ravins obstrués par la glace et les routes peu fréquentées. J’aperçois, pour la première fois, les fameux bœufs porteurs qui sont les seules bêtes de somme de la Corée et servent aussi de montures ; le paysan possède un véritable talent pour les charger de fardeaux pesants et encombrants sous lesquels l’animal disparaît, au point de laisser croire que la masse se déplace d’elle-même.

On parla d’utiliser ces bœufs, aux cornes longues et acérées, dans l’expédition de Chine ; mais malgré les conseils de M. le commandant Vidal, attaché militaire à Pékin et Séoul, ce projet ne fut pas réalisé, peut-être à tort.

UNE RUE COMMERÇANTE DE TCHEMOULPO. — D’APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Les habitants sont habitués aujourd’hui à la vue du chemin de fer, et, comme les Chinois de Tien-tsin et de Paoting-fou, ils en ont vite compris les avantages ; à chaque station, nous prenons des voyageurs se