Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 10.djvu/461

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caresse de la brise au feuillage des arbres de la place, qu’un déferlis paisible de l’eau sur la berge, que le choc sourd d’un bateau contre la pierre du quai. Ces nuits-là sont inconnues à l’énorme Paris, dont le sol creux, empli par l’entrecroisement des tuyaux de tous les services publics, répercute le bruit de ce qui circule partout et toujours. Les fiacres de trois heures du matin n’ont pas fini de rouler, les noctambules ne sont pas rentrés, que déjà, par toutes les descentes de faubourgs, les voitures des maraîchers de banlieue s’en vont vers les Halles, au pas endormi de leurs chevaux. Mais ce n’est là encore qu’un bruit tranquille, régulier, presque en sourdine. La ville appartient surtout aux voitures des bouchers et des laitiers qui se lancent à fond de train par la rue, le fouet haut, la voix excitante, comme s’ils concouraient à des courses de chars. Quimperlé ne connaît pas ces délices, et le passant venu des grandes villes doit lui être reconnaissant de lui donner à contempler le décor de l’immobilité, de lui donner à entendre les voix du silence.

Le réveil a lieu de bonne heure ; la gaie symphonie des sabots commence, et quel changement à vue ! La ville semble s’envoler avec les fumées bleues de ses toits, par ses étages de jardins. Les volets poussés, les fenêtres ouvertes, des visages aux yeux rieurs et aux bouches bavardes apparaissent, la coiffe blanche déjà posée sur les chevelures blondes et châtaines. Les marchandes de poisson déambulent, le nez au vent, la bouche bien fendue, et il en est parmi elles qui ne laisseraient pas le dernier mot, j’en réponds, à celles des commères qui dévident le plus magistralement le répertoire dans leur pavillon des Halles de Paris.

Si, de plus, vous traversez Quimperlé un dimanche, et qu’il y ait quelque assemblée dans les environs, il vous sera donné de contempler la plus belle collection de bas bien tirés, de jupons courts, et de tabliers de couleur. Ces tabliers ! il faut les avoir vus réunis, deux par deux, trois par trois, par demi-douzaines et par douzaines, dans les rues de la ville et sur les routes des environs, pour se faire une idée de leur importance, de leur éclat. Aux devantures des magasins, sous l’ombre des auvents, ils n’ont pas cette éloquence éclatante, mais portés par les femmes et les filles de Quimperlé s’en allant et s’en venant d’un pas de promenade, conscientes de leurs beaux atours, ils ont un aspect de réjouissance extraordinaire, ils éclatent aussi haut que la fanfare d’une marche sous le soleil, par un jour de plaisir. Il y en a des bleus, comme des bleuets, comme des pervenches, comme des coins de ciel après la pluie, comme des yeux bleus d’enfants. Il y en a des violets, comme un ciel d’orage, comme la mer en été, vers le soir. Il y en a des rouges, comme du sang ; des roses, comme des roses ; des jaunes, comme des boutons d’or. Il y en a de la nuance changeante de la gorge des pigeons, il y en a de soie blanche qui se dore au soleil et qui se bleuit à l’ombre, et il semble vraiment que ces promeneuses se soient ingéniées à arborer, les jours de fête, tous les aspects de la nature à toutes les heures, toutes les couleurs de leur pays.

Quimperlé, à mon avis, est l’une des plus jolies villes de la Bretagne, non pas seulement pour sa floraison de tabliers, mais pour sa situation privilégiée, au confluent de l’Ellé et de l’Isole, qui deviennent la Laïta, pour la grâce de ses paysages, pour la bonhomie de ses maisons, et la gaieté de ses habitantes. Partout des jardins, partout des arbres. Le coteau de Penarven descendu, c’est l’entrée en ville, la place du Bourg-Neuf, puis l’ancienne place Royale et l’église, si curieuse, de Sainte-Croix. À Quimperlé, comme à Hennebont, la ville est subdivisée : ici, il y a la ville haute et la ville basse, puis, la ville basse, à son tour, se compose de deux quartiers : l’un, enclos par les deux rivières, forme la ville close ; l’autre, sur la rive gauche de l’Ellé, se nomme terre de Vannes, la rivière d’Ellé servant autrefois de ligne de démarcation entre le diocèse de Vannes et le diocèse de Quimper. Le tout fait aujourd’hui partie du département du Finistère.

LA CÉLÈBRE ÉGLISE DE SAINTE-CROIX, À QUIMPERLÉ.

C’est sur le territoire de la ville close que Quimperlé a été fondé. Comme dans beaucoup de villes