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par les habitants de Quimperlé ; la redevance en chandelles est datée de 1482. Le monastère devint de plus en plus une administration, les bénéficiaires se bornant à faire toucher leurs revenus par leur fondé de pouvoir, et refusant même les réparations indispensables aux bâtiments conventuels et à l’église : il fallut le cardinal de Retz comme abbé commendataire pour changer cet état de choses. Son successeur, l’abbé Guillaume Charrier, vint habiter l’abbaye, lui rendit de signalés services. Il eut pour hôte Claude Lancelot, professeur de Racine, qui se fit bénédictin après la dissolution de Port-Royal, et qui fut envoyé à Quimperlé par une lettre de cachet de Louis XIV ; il y vécut quinze années, mourut en 1695, à l’âge de quatre-vingts ans. Le dernier abbé commendataire fut Guillaume Davaux, précepteur du Dauphin, fils de Louis XVI. Le couvent, dont le revenu était insuffisant, fut supprimé en 1790, sur la demande des religieux eux-mêmes, et Guillaume Davaux mourut en 1822. Les religieux, qui étaient vingt et un en 1476, étaient trois en 1590, quatre en 1665, cinq en 1790.

PORTAIL DE L’ÉGLISE SAINTE-CROIX, À QUIMPERLÉ.

Tel est le résumé de l’histoire d’un monastère breton. Les bâtiments, reconstruits en 1678, sont occupés par la sous-préfecture, le tribunal, la municipalité, la justice de paix, le presbytère, l’école communale, la gendarmerie. Le logis de l’abbé commendataire est devenu une hôtellerie. Une partie de la bibliothèque est à Quimper. Une copie du cartulaire est possédée par un amateur étranger. Mais il reste l’église de Sainte-Croix, qui est célèbre à juste titre dans l’histoire de l’art comme l’une des rares imitations du temple du Saint-Sépulcre, de Jérusalem. J’ai déjà signalé, dans ce genre, l’église de Lanleff, dite temple de Lanleff, dans le pays de Saint-Brieuc. Mais Lanleff est une ruine. Sainte-Croix, réparée, refaite en 1476, reste, par beaucoup de ses parties, un monument du xiie siècle. Sa forme générale est circulaire, mais par des ajoutés, elle prend néanmoins la forme de croix imposée aux églises. C’est tout de même un subterfuge, car elle a gardé cette singularité de quatre énormes piliers au centre, avec un espace surélevé, qui correspond à une autre surélévation du chœur par une sorte de galerie ou de pont. L’opinion des archéologues est que le chœur est plus récent que la partie centrale, et que le vrai chœur fut là, entre les quatre gros piliers. Ces piliers, ce centre, voilà la première construction ou réédification, à laquelle on assigna la date de 1083. Au-dessous, il y a une crypte, trois nefs divisées par des colonnes épaisses aux chapiteaux bas, et cette crypte contient le tombeau de saint Gurloës, invoqué pour la goutte, disent les uns, les migraines et les névralgies, disent les autres. Le malade liait sa chevelure à un bout de chaîne fixé à une colonne proche du tombeau, et l’en arrachait violemment ensuite : la chaîne a disparu, et la superstition avec elle. Je ne quitte pas Sainte-Croix sans regarder les sculptures de la Renaissance, fixées au mur de chaque côté de la porte : bon travail de tailleur de pierre qui a représenté le Christ au milieu des anges, les quatre Évangélistes avec leurs attributs. La fresque d’une chapelle n’est pas une bonne peinture.

Sainte-Croix fait tort à Saint-Michel, chapelle devenue église, qui est pourtant un édifice intéressant des xive et xve siècles, et sa tour carrée, à colonnes et à colonnettes, à galeries ajourées, coiffe bien Quimperlé de ses lignes graves et de ses sculptures délicates. Saint-Golomban est en ruines. Le couvent des jacobins, occupé par les dames de la Retraite, n’a plus que sa porte du xve siècle, mais il a conservé ses magnifiques jardins.

C’est à peu près tout ce qui reste, avec de vieilles maisons, de l’ancien décor de la ville. Les fortifications et les portes ont disparu. Il y a encore les rues, et les ponts nécessaires à une ville bâtie sur deux rivières. Les foires et marchés se tiennent sur la place Saint-Michel, dont une partie se nomme la place au Soleil, et l’autre, la place au Moc’h ou place aux Porcs. Le collège communal est logé dans l’ancien couvent des capucins, chez lesquels nombre d’habitants étaient invités à venir manger la morue, le vendredi saint, comme on allait manger des sardines chez les jacobins, le jour de la Saint-Jean. Le cimetière entoure la chapelle Saint-David. Les armes de la ville sont « d’hermine au coq de gueules barbé, membré et crêté d’or. » On a une liste à peu près complète des maires de la ville depuis le xvie siècle jusqu’à 1790. Le commerce maritime a décru : les bâtiments de trente tonneaux ne peuvent plus