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LE SÉCHAGE DES SARDINES.

bouillons blancs de dentelles. Puis le mouvement s’accélère, le vent pousse la vague, la vague lutte contre les obstacles, et peu à peu semblent venir du fond de l’horizon marin des lames formidables, « ces chevaux blancs de la mer » dont parle un poète grec. Ici, il faut prendre garde. Ce flot est vorace, même par les jours de beau temps. Il n’y a pas que les ondulations, visibles à la surface, ces vagues régulières qui se succèdent si harmonieusement, et que l’on peut fuir si elles deviennent trop pressées et trop hautes, si elles gagnent trop rapidement le terrain. Il y a autre chose. Sous la mer la plus calme, avec le soleil le plus doux, quand la brise caresse les choses, et que les papillons des haies viennent flâner au bord de la mer, près des premières vagues que boit le sable, il peut se former au large, dans les vastes profondeurs, une immense lame qui poursuit son mouvement sans que rien la trahisse à la surface toujours calme. Tout à coup cette lame sourde sort de l’eau, tout près du bord, s’élève, gigantesque et pesante, au-dessus du rivage, s’abat avec une force irrésistible et entraîne tout ce qu’elle rencontre. C’est ainsi que par une journée d’automne, en octobre 1870, la femme d’un fonctionnaire de Quimper, ses filles, sa bonne, en tout cinq personnes, ont été emportées d’une dalle plate où elles se croyaient fort à l’abri des furies et des caprices de la mer. On a scellé une croix dans le rocher pour commémorer l’événement.

À la pointe de Penmarch, l’Atlantique se déploie avec une force extraordinaire, sans rien qui puisse l’arrêter. Un îlot semble près de disparaître. En avant, la roche de la Torche, roche creuse où le bruit de la mer retentit comme dans une conque. L’intervalle, qui sépare les deux rochers, se nomme le saut du Moine, en souvenir de saint Viaud, qui venait d’Irlande et qui franchit d’un bond cet espace. On dit aussi qu’un moine est tombé là, et c’est peut-être aussi saint Viaud. Tout autour, ce ne sont qu’écueils, cavernes, rochers, dont les Étaux, bien nommés, sont les plus terribles : une barque prise dans une telle mâchoire n’en sortirait que brisée. Au rocher de Philopex, on montre une grotte où des Girondins vinrent se cacher en 1793. Les mouettes, les goélands, tournent autour de ces repaires. Par les temps durs, quand la voix de la mer est rauque, quand la vague crache et griffe, quand les rochers, si vieux, si crevassés, semblent exténués sous la bave de ces vagues furieuses, il n’est pas de paysage plus marqué de l’horreur des choses inconscientes. Le moindre hameau, alors, semble accueillant. Que dis-je ? la moindre cabane que la main de l’homme a façonnée en abri.

Une fois arrivé à Penmarch, c’est un bout du monde, et il faut bien, si l’on ne veut suivre la côte jusqu’à Audierne, rebrousser chemin. Il me faut voir Quimper, d’ailleurs. Ce chemin de la côte, je le ferai une autre fois, en sens inverse, venant d’Audierne. On ne peut vivre toujours parmi les galets, et je ne suis pas fâché de m’en aller vers une vraie grande ville, moins hypothétique que Penmarch, de même qu’après un certain nombre de jours passés dans une ville, on est heureux de partir vers les paysages de la solitude. En route donc pour Pont-l’Abbé, au soir, et de là à Quimper, en chemin de fer. J’y suis arrivé à la nuit et j’ai donc été privé, tout d’abord, de la vision d’une jolie ville dans la lumière du jour. Mais je l’ai eue le lendemain, qui était, je m’en souviens, un dimanche, et j’ai vécu l’existence assez plate de ce jour-là avec assez de satisfaction, me délectant de la musique militaire et du spectacle des familles sous les armes,