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vers le Pôle nous ont donné plus de travail que nous n’en pûmes exécuter, non seulement durant notre longue traversée, mais encore pendant notre hivernage.

Durant les quatorze premiers jours après le départ de Madère, grâce à l’alizé du nord-est, nous atteignons à la voile une assez bonne vitesse moyenne. Les mécaniciens en profitent pour nettoyer et fourbir leur moteur. Lorsqu’il a bien astiqué, Nödtvedt consacre ses loisirs à l’enclume. Nous avons besoin de diverses pièces pour les traîneaux, de couteaux, de harpons, de barres, de centaines de crochets et de chaînes pour les chiens. Jusqu’au milieu de l’océan Indien, notre camarade ne se lasse pas de battre le fer ; une fois que nous sommes dans la zone des vents d’ouest, l’ampleur du roulis rend son travail malaisé.

Avant l’appareillage de l’expédition, que n’avait-on dit et écrit sur le Fram ? Les uns prétendaient qu’il faisait eau de toutes parts, les autres qu’il était complètement pourri. Les deux longues traversées accomplies par le navire de 1910 à 1912 montrent l’inanité de ces racontars.

Pendant vingt mois sur vingt-quatre, le Fram a navigué à travers des mers tumultueuses qui mettent à l’épreuve la solidité des navires. Actuellement, il est en aussi bon état qu’au moment du départ, et il pourrait recommencer les mêmes voyages sans réparations. D’ailleurs nous savions parfaitement à quoi nous en tenir sur la solidité de sa coque. Est-ce que tous les bâtiments en bois ne font pas une certaine quantité d’eau ? Quand le moteur est stoppé, chaque matin, la manœuvre des pompes à bras pendant dix minutes suffit à vider la cale. Oh ! non, la coque du Fram est solide. Par contre, le gréement nous donna moins de satisfaction : faute d’un budget suffisant, je n’avais pu le faire établir aussi complet que je l’eusse désiré. Le mât de misaine porte seulement deux voiles carrées, alors qu’il en aurait fallu quatre. En second lieu, nous n’avons que deux focs. Dans la zone des alizés, nous agrandîmes la misaine au moyen d’une bonnette et hissâmes une flèche au-dessus du hunier. Cette voilure de fortune ne donna pas précisément un aspect élégant au navire ; mais elle accéléra sa marche, c’était l’essentiel.

Pendant cette partie de septembre, nous faisons bonne route vers le Sud ; avant le 15 nous sommes déjà fort en avant dans la région des tropiques. La chaleur ne nous incommode plus ; d’ailleurs, elle est toujours supportable en pleine mer, tant que le navire marche. Par contre sur un bâtiment à voiles, immobilisé par le calme avec le soleil au zénith, la température n’est pas précisément agréable. En pareil cas, nous mettons le moteur en mouvement, et de suite nous avons un peu de brise, tout au moins sur le pont. Les logements, en revanche, sont de véritables fours. Les cabines, si confortables à d’autres points de vue, ne possèdent point de hublots, d’où l’impossibilité d’y établir de courant d’air.

À LA ROUE DU GOUVERNAIL.

Dans le voisinage de l’Équateur, entre l’alizé de nord-est et celui de sud-est, se rencontre la zone des calmes. Sa position et son étendue varient avec les saisons ; il peut même arriver qu’elle fasse pour ainsi dire défaut et qu’un vent régulier vous pousse à travers toute la zone équatoriale. Le plus souvent, cette bande de calmes retarde singulièrement les voiliers. Nous arrivons dans ces parages à une époque défavorable ; dès le 10° de latitude nord, nous sommes abandonnés par l’alizé de nord-est. Si les brises nous avaient fait défaut, ce n’eût été que demi-mal ; on aurait mis en marche le moteur. Mais nous eûmes la malchance de trouver un vent de sud constant qui nous retarda notablement. De plus nous ne reçûmes pas les averses diluviennes habituelles sous ces latitudes qui en quelques instants renouvellent la provision d’eau ; nous ne recueillîmes que quelques gouttes. Pour ne pas être pris de court, la plus stricte économie s’impose désormais. À partir de maintenant, la ration des chiens est mesurée avec parcimonie et la nôtre réduite au strict nécessaire. Pour cette raison, les potages sont proscrits et les lavages à l’eau douce défendus. Une abondante provision de savon, qui se dissout dans l’eau de mer, nous