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au Japon, mais un peu durs peut-être pour des oreilles françaises :


Midzounó Ikigougonó Kami,
Nagaï Hguembano Kami,
Ynouïé Schinanonó Kami,
Hori Oribenó Kami,
Iouaché Fingounó Kami,
Et Kamaï Sakio Kami.


Ce dernier plénipotentiaire est taciturne ; il ne prend jamais la parole, même au milieu des plus vives discussions. Il écoute, et ne parle point. Nous nous permettons de porter un jugement peu favorable sur son esprit. Mais nous sommes tout étonnés un jour d’apprendre la véritable nature et l’importance de ses fonctions. Nous voyons sur sa carte de visite qu’il prend le titre d’espion impérial, mot à mot, homme qui regarde de travers pour rendre compte à l’empereur.

L’espionnage, au Japon, est passé dans les mœurs, dans les habitudes ; il est légal et officiel, il fait partie des mœurs administratives, et est élevé à la hauteur d’un principe de politique intérieure. C’est pour la cour de Yédo un mode de gouvernement. Aussi peut-on dire sans exagération que la moitié du Japon espionne l’autre. Nos cent iacounin, ou hommes à deux sabres, étaient de fort braves gens à la vérité, mais ils écrivaient néanmoins sur leurs éventails tout ce que nous faisions dans nos promenades et dans nos chambres, pour en rendre compte sans doute à qui de droit : or on y ajouta bientôt six nouveaux personnages chargés de surveiller ces iacounin, et de voir comment ils se comportaient dans leurs rapports avec nous. C’était de l’espionnage au second degré.

Le samedi, 9 octobre, a lieu la signature du traité ; et, rien ne nous retenant plus à Yédo, l’ambassadeur fixe au lendemain notre retour à bord. Nous disons adieu à nos six bounió, qui nous donnent rendez-vous en France, et Nagaï Hguembano Kami, le deuxième plénipotentiaire, nous dit qu’il est déjà désigné comme ambassadeur près la cour des Tuileries. Le gouvernement japonais enverra, en outre, d’autres missions à Londres, à Saint-Pétersbourg et à Washington. Nous demandons à Nagaï comment il compte se rendre en France, si ce sera par Suez ou par le Cap, par les paquebots ou par un bâtiment de guerre français. Il nous répond que ce sera sur un navire de guerre japonais, avec un équipage japonais, et qu’il abordera au port de Toulon, avec son pavillon national au grand mât, c’est-à-dire un globe rouge sur un fond blanc. Comme nous faisions allusion à un article du traité qui prescrit aux interprètes japonais d’apprendre le français dans l’intervalle de cinq ans, Nagaï, en veine d’amabilité, dit en souriant à M. Mermet qu’il sait fort bien que le français est la langue la plus répandue en Europe, et que tous les gens comme il faut se piquent de la parler.

Nous nous quittons donc dans les meilleurs termes, et nous acceptons encore un dîner envoyé par le taïcoun : il fallait finir comme nous avions commencé. Chacun de nous reçoit, en outre, de l’empereur, un présent de rouleaux de soie de diverses couleurs, en souvenir de la paix. La soie japonaise est moins fine que celle de la Chine, mais elle ne le cède en rien à celle-ci pour le brillant et la vivacité des couleurs.

Le lundi 11 octobre, l’ambassade de France quitte Yédo pour retourner à bord. Dès le matin, une agitation inaccoutumée règne dans notre bonzerie : on emballe, on paye les derniers comptes. On déjeune à la hâte à huit heures, puis le grand déménagement commence. Cent coolies ont été commandés la veille avec tous les instruments nécessaires. Nous ne voyons pas sans inquiétude nos pauvres effets se perdre dans la foule, confiés à des inconnus. Le sous-bouniô, chef de la bonzerie, entouré de ses iacounin, vient, au départ, faire ses adieux à l’ambassadeur. Nous nous mettons en marche à la suite du baron Gros, à pied, dédaignant nos brillants norimons ; et le drapeau tricolore nous précède dans les rues de Yédo étonnées. On a fermé les portes, on a mis des cordes dans la traversée des rues, de sorte que nous ne sommes point gênés par la foule. Nous arrivons à notre débarcadère du premier jour, mieux organisé cette fois, et, à midi, nous sommes à bord de nos bâtiments.

Le lendemain, dès l’aube du jour, nous levons l’ancre et nous disons adieu à Yédo. En sortant de la baie, nous sommes accueillis en mer par de très-grandes brises et par un fort coup de vent qui nous mènent en quatre jours au détroit de Van-Diémen, et en cinq jours à Nangasaki.


La ville de Nangasaki. — Occupations des princes japonais. — Factorerie hollandaise de Désíma. — Commerce avec la Chine.


Une foule d’embarcations japonaises sillonnent la rade de Nangasaki, les unes pour espionner, les autres pour porter des vivres aux bâtiments. Même après Simoda, nous admirons Nangasaki, et ce port nous paraît à la hauteur de sa grande réputation. Le paysage est moins pittoresque qu’à Simoda, mais il est bien plus large comme horizon. Dans les arbres, sur les hauteurs, on aperçoit des pièces de canon, et, çà et là, de grandes bandes de toile destinées à simuler de formidables batteries.

Il fait presque aussi chaud à Nangasaki qu’à Batavia durant les mois d’été ; mais, en hiver, il y a de la neige, et souvent de la glace. La table y est très-fastidieuse par le défaut presque absolu de viande.

Il n’y a ni mouton, ni chèvre, ni cochon au Japon. Les Japonais, comme les Chinois, vivent presque uniquement de riz, de poisson et de volaille. Les bœufs sont réservés pour l’agriculture, et les tuer serait considéré comme un sacrilége. En hiver, il y a du gibier, des cailles, du sanglier, du daim ; et, à cette époque de l’année, un faisan coûte six sous à Nangasaki.

Les princes japonais chassent sur leurs terres avec des fusils à mèche et des chiens, mais le plus souvent avec des flèches : l’exercice de l’arc passe pour le plus noble, comme demandant le plus d’adresse et d’agilité. Au reste, ils cultivent également les sciences, et l’un d’eux, le