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aussi voit-on plusieurs de ces Indiens qui possèdent des troupeaux de 200 têtes.

Une trentaine de jeunes hommes se réunissent d’ordinaire pour ces excursions, qui, en raison des dangers et des privations qu’on endure, sont mises au rang des expéditions guerrières. Chacun se munit d’un cheval et des armes nécessaires pour faire un trajet long de plusieurs centaines de milles à travers des espaces où la chasse ne donne qu’un maigre produit. Ils voyagent pendant des mois jusqu’à ce qu’ils atteignent les établissements des blancs ; là, ils se mettent en embuscade, attendant le moment de se ruer, avec des cris et des hurlements, sur les gardiens d’un troupeau isolé. Ils les chassent, les tuent en cas de résistance, emmènent prisonniers les femmes et les enfants, et reprennent avec leur riche butin le chemin des wigwams. Ils n’y rentrent parfois qu’après une absence de deux ans ; car il faut, de toute nécessité, que leur entreprise soit couronnée de succès ; un Indien rougirait de rentrer parmi les siens les mains vides. Ces courses n’ont jamais lieu sans accidents. Nous savons, par la relation de voyage de M. de Humboldt, qu’au commencement de ce siècle les prisons de Mexico étaient souvent remplies de bandes entières de Comanches faits prisonniers qu’on avait envoyés de Taos et de Santa-Fé au Nouveau-Mexique vers les régions du sud.

Les Indiens ont une autre manière d’augmenter leurs richesses en chevaux ; c’est la chasse aux mustangs. Ces chevaux sauvages sont petits, mais vigoureusement bâtis. Ils ont un œil vif, un nez pointu, de larges naseaux, les jambes et les pieds élégants ; ce sont, sans aucun doute, les rejetons de cette race qui fut introduite par les Espagnols à l’époque de la conquête du Mexique, quand la race arabe était déjà à demi abâtardie dans la Péninsule. Ils passèrent à l’état sauvage, se multiplièrent et errèrent en troupes depuis les côtes du Texas et du Mexique jusqu’à la rivière de Yellowstone, affluent du Missouri.

Les habitants des prairies apprirent bientôt à utiliser cette nouvelle espèce qui leur permit de poursuivre plus rapidement le gibier ; dans leurs migrations, ils employèrent ces chevaux en qualité de bêtes de somme ; et quand les buffles manquaient, c’est avec la chair des mustangs qu’ils apaisèrent leur faim. Nous avons raconté comment les Indiens se procurent des chevaux autour des établissements des blancs ; malgré cela, une de leurs occupations favorites est la chasse aux mustangs, et ils s’y livrent avec une passion et une ardeur sauvages.

« Muni d’un lasso et d’un fouet, le Comanche poursuit un troupeau ; il y choisit sa victime et lui jette son lasso autour du cou. Une lutte s’engage, mais de peu de durée. Il attache une courroie aux jambes de devant, lâche un peu le lasso pour laisser respirer l’animal, lui passe une seconde courroie sous la mâchoire inférieure, lui souffle dans les naseaux ; puis, lui ôtant toutes ses entraves, saute sur son dos, et lui fait exécuter à travers la prairie une course à la vie et à la mort. Mais souvent l’animal s’y épuise, et sa chair est alors le seul profit de cette chasse des Indiens. »


La Dry-River. — Un peuplier centenaire. — Rencontre de Kioways.


C’était le 7 septembre que la caravane avait passé les Antelope-Hills, qui le 8 n’apparaissaient plus que dans un lointain bleuâtre. À cette date les voyageurs avaient déjà parcouru un trajet de 424 milles, depuis leur départ du fort Smith. Le 9 au matin ils se trouvaient sur les bords de la Dry-River, rivière qui mérite, sous plus d’un rapport, de fixer l’attention. Elle sort du Llano Estacado, près des sources de la rivière Sweat Water, et se dirige au nord-ouest vers la Canadian, où elle a son embouchure. La largeur de son lit (200 mètres près de l’embouchure) est d’autant plus remarquable que son parcours est peu étendu. La vallée a une largeur proportionnée. L’examen du sol de cette vallée fait comprendre comment ont surgi les collines coniques, à larges plateaux, disséminées dans les prairies, et pourquoi il faut les considérer comme les restes du Llano Estacado. La rivière doit peut-être son origine à un simple sentier de buffles ; un torrent débordé en a fait un ruisseau ; des crevasses, formées de la même manière, se sont remplies à leur tour et lui ont apporté leur tribut ; ces masses, d’eau réunies ont entraîné le sable, percé la couche de grès blanc qui le traversait horizontalement, se sont creusé un lit profond et une large vallée, qu’elles agrandiront encore ; car leur action est toujours la même. Les hauteurs, qui enferment la rivière, ont été minées de la même façon, soulevées et séparées du sol ; puis, comme l’influence destructive du temps et des éléments agissait plus lentement sur elles, à cause de la couche de grès qui les recouvrait, peu à peu se sont formées des collines, qui tranchant sur la plaine d’alentour, et qui, recouvertes de ces couches pierreuses en saillie, ressemblent aux Antelope-Hills et aux Natural-Mounds. Leur circonférence est plus petite, car leur formation est d’une époque plus récente, bien que certaines roches paraissent appartenir à des temps plus anciens.

La Dry-River se distingue encore par une autre particularité, commune d’ailleurs à plusieurs rivières de cette contrée. Dans les basses eaux, elle est à sec près de son embouchure, tandis que plus loin, en remontant, vous trouvez beaucoup plus d’eau ; et même les endroits, à sec pendant le jour, se remplissent pendant la nuit, pour se dessécher de nouveau, dès que le soleil monte à l’horizon. Le premier fait s’explique en ce que l’amas de sable est très-considérable à l’embouchure, et que les eaux filtrent à travers. Les affluents du grand Colorado de l’ouest, entre le 34° et le 37° degré de latitude nord, présentent le même phénomène. Quant au second, il est occasionné par l’évaporation très-forte pendant le jour, à cause du sable échauffé par le soleil ; l’eau ne peut gagner le dessus que quand l’atmosphère est rafraîchie.

Les animaux connaissent ces intermittences ; au moment où les voyageurs passaient la Dry-River, à un mille de son embouchure, des cerfs et des antilopes, blottis près de là, attendaient que les eaux eussent atteint leur niveau pour venir s’y désaltérer, car on était aux premières heures du jour. C’était un charmant spectacle ;