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les eaux poissonneuses de Saint-Paul le cheilodactylus, ou, selon son faux nom, la morue de mer. À 50 centimes par poisson, chacune de ces expéditions lui rapporte 25 000 francs. Les trois habitants de l’île surveillent ces pêcheries pour son compte, gardent les magasins, et cultivent une soixantaine de quintaux de pommes de terre, qu’ils échangent avec les baleiniers pour du riz, du tabac, des biscuits et du salé.

L’île Saint-Paul n’est qu’un sommet de cratère qui s’élève du fond de l’océan jusqu’à une hauteur de cent soixante mètres. Elle n’est abordable que du côté du sud-ouest, où le cratère effondré forme un port magnifique, ovale, avec une ouverture large de cent mètres, aux côtés de laquelle s’élèvent deux barres, longues, l’une de deux cents et l’autre de trois cent quarante mètres, qui viennent se rattacher aux flancs escarpés de la montagne. Les côtés intérieurs du cratère tapissés de gazons offrent aux yeux un ravissant amphithéâtre de verdure.

Nous nous hâtâmes d’installer divers instruments pour nos observations astronomiques, magnétiques, géodésiques, météorologiques et hydrographiques ; puis, chacun, suivant son goût, fit de la botanique, de la géologie, de l’entomologie, de la zoologie ou de la minéralogie. Quelques naturalistes zélés semèrent à la hâte des graines apportées d’Europe, avec l’espérance de les voir germer et sortir du sol. Mais bientôt un vent à écorner des bœufs, des pluies battantes et persistantes, vinrent nous assaillir dans nos huttes pendant plusieurs jours de suite et calmèrent beaucoup notre ardeur. Heureusement nous découvrîmes dans la cabane du propriétaire de l’île une collection de livres choisis avec goût, des histoires de voyages, et les œuvres de Charles Bonnet. Quelques pingoins vinrent nous rendre visite. Claudiculant comme des invalides sur leurs jambes de bois, ils se promenaient dans notre cabane, lourds, gauches, naïfs, agitant leurs petites ailes informes, ouvrant de leur mieux leurs yeux ronds et leur bec, comme pour exprimer la surprise que leur causait notre présence. Ces pauvres palmipèdes vivent par milliers sur l’île Saint-Paul. Ils se sont construit une sorte d’immense cité où, le soir, au retour de la pêche, ils montent en longues files par de petits sentiers en zigzag. La nuit, ils font un vacarme assourdissant.

Nous visitâmes avec intérêt deux sources thermales, qui sortent du cratère presqu’au niveau de la mer ; elles marquent 96° c. Quelques-uns d’entre nous se donnèrent la satisfaction d’y faire bouillir, au bout de leur ligne, des poissons qu’ils venaient de pêcher dans la mer, à quelques mètres de là.

Le 6 décembre (1857), nous fîmes nos adieux à M. Viot et à ses deux camarades, leur laissant en souvenir une collection d’outils.

Saint-Paul, dont nous avons levé la carte avec soin, pourrait devenir une excellente station pour les navires qui, arrivant de la Chine, du Cap, des Indes ou de l’Australie, auraient besoin de réparations ou d’approvisionnements. Elle dépend du gouvernement de l’île de France.


ÎLE D’AMSTERDAM[1].


Le 7 décembre, notre chaloupe aborda par deux fois à l’île d’Amsterdam, et non sans peine. Nous y vîmes des gazons, des roseaux, quelques herbes arborescentes, mais le vent nous força, vers le milieu de la nuit, à renoncer à l’abordage et à tourner cap sur Ceylan.*


CEYLAN[2].


Nous parcourûmes la distance de l’île d’Amsterdam à Ceylan, soit 3110 milles marins en 31 jours, et, le 8 janvier, nous jetâmes l’ancre dans la baie de la Pointe-de-Galles, en vue d’une côte très-unie, couverte de cocotiers, et d’un ravissant panorama de montagnes, dont les sommets se cachaient dans les nuages.

Pointe-de-Galles est un endroit encore peu important ; il consiste en une Pettah (ou ville noire des indigènes, un fort et un quartier européen, dont les maisons blanches, les rues propres, et les avenues ombragées offrent un aspect agréable.

Le bouddhisme qui semble reculer devant l’islam dans l’Inde et les îles de la Sonde, est en pleine prospérité à Ceylan. Cette île est, pour ainsi dire, la Rome des adorateurs de Sakya-Mouni. Aussi les temples et les chapelles s’y comptent-ils par milliers. Les prêtres cingalais jouissent d’une assez grande autorité à la fois religieuse et politique. Ils s’obstinent à affecter l’ignorance du moindre mot anglais : c’est une manière de protester contre les hérétiques conquérants de l’île sainte. Ils sont d’ailleurs fort polis vis-à-vis des Européens, et préoccupés uniquement, en apparence, de leurs fonctions religieuses.

À peine débarqués, nous nous mîmes en route pour le grand temple de Dadalla-Panzela, dans le voisinage de Galles. C’est là que réside le grand prêtre de Ceylan, entouré d’un conclave d’Hamadourous. Nous eûmes l’honneur de lui être présentés. C’est un vieillard de soixante-dix ans, décoré du nom redoutable de Nanalangara-Sirisoumana-Mahadama-Radjiourong-Ganatchari-Naïkoumangi. Il voulut bien nous informer par interprète qu’il avait longtemps vécu dans le pays de Siam, et que l’empereur de ce royaume (avec lequel il correspond fréquemment), venait de lui envoyer un vaste parasol d’honneur. Il nous fit voir ce riche présent. Ensuite, il daigna nous demander nos noms, notre patrie, et le but de notre voyage, toutes choses auxquelles il parut s’intéresser ; il ordonna même a un jeune lévite de prendre note de tous ces détails, avec une plume d’oie, sur un papier probablement réservé aux usages profanes, car, dans le vestibule, un étudiant transcrivait religieusement quelques saintes Écritures sur une feuille de talipotier.

De Galles à Colombo, 130 kilomètres. Nous louâmes pour faire le trajet une voiture et un cocher. Pendant les

  1. Cet îlot inhabité, situé par 38° 30’ de lat., et celui de Saint-Paul ont été découverts en décembre 1696 par le Hollandais Willem Van Vlaming. L’un et l’autre ont été dessinés, à cette époque, par Valentyn.
  2. Parmi les voyageurs qui ont étudié Ceylan, on peut surtout recommander John Davy, Ward, et Emerson Tennent (Ceylon, an account of the island, physical, historical, and topographical, etc. 2 vol. avec cartes, plans, etc.).