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femmes, et ne répondent à la moindre observation que par la menace de déserter.

« Nos cinq âniers sont encore de plus tristes sujets.

« Au dernier rang, fort peu au dessus des ânes, même de leur propre aveu, sont les trente-cinq Ouanyamouézi qui forment le corps des porteurs ; garçons efflanqués pour la plupart et difficiles à bâter. Chacun d’eux a son caprice, tous ont horreur des caisses, à moins qu’elles ne soient assez légères pour qu’on puisse en mettre une à chaque bout d’une longue perche, ou bien assez lourde pour exiger deux hommes, et se balancer entre eux. Du calicot, de l’indienne, des étoffes de soie et coton aux couleurs voyantes, des grains de verre et de porcelaine[1], du fil de laiton forment la majeure partie du chargement.

Un village de la Mrima, page 306. — Dessin de Eug. Lavieille d’après Burton.

« Enfin, au départ, trente ânes, cinq de selle, vingt cinq de bât, complétaient la caravane. Il n’en reste plus que vingt, et leur décroissement rapide commence à nous inspirer de graves inquiétudes. Ce n’est pas qu’il soit agréable de les monter ; en Afrique, maître aliboron joint à son entêtement proverbial les quatre péchés capitaux de la race chevaline : il bronche, s’effraye, se cabre et se dérobe. Saisi d’impatience dès qu’il vous a sur le dos, il rue, pirouette, s’emporte, se gonfle et se dresse jusqu’à ce qu’il ait rompu ses sangles ; il est affolé par le vent, et se précipite sous les arbres dès que le soleil prend de la force. Livré à lui-même, il dédaigne le sentier, recherche les trous avec obstination, et si vous avez besoin de faire plus de deux milles à l’heure, ce n’est pas assez de l’homme qui le tire par la bride, il en faut un second pour le frapper jusqu’à ce que l’on arrive. La rondeur de ses flancs, la brévité de son échine, son manque d’épaules, joints à la roideur de ses jambes droites, et au maigre bât sur lequel vous êtes perché, en font bien la plus détestable monture qu’on puisse imaginer. Ce n’est rien encore auprès des tribulations que nous causent les ânes de somme. Mal chargés par les esclaves, qui ne se donnent pas la peine d’équilibrer les fardeaux, ces derniers tombent dans chaque fondrière, roulent au fond de chaque ravin ; et les Béloutchis s’asseyent en murmurant au lieu de venir à notre aide. »

Le 7 août 1857, l’expédition se remettait en marche, et se dirigeait vers les montagnes dont le premier gradin est à cinq heures du Zoungoméro central. À quatre ou cinq milles, sur la gauche de la route, s’élèvent des cônes disposés en ligne irrégulière ; au pied de l’un de ces cônes jaillit une source thermale, désignée sous le nom de Fontaine qui bout. L’eau jaillit d’un sable blanc, çà et là tacheté de rouille, parsemé de gâteaux et de feuillets de tuf calcaire, et où gisent des blocs erratiques, noircis probablement par les vapeurs de la source. Le terrain environnant est brun, jonché de fragments de grès et de quartzite. Un rideau boisé ferme à l’ho-

  1. Il existe quatre cents variétés de ces perles, dont plusieurs ont chacune trois ou quatre noms différents. Les plus communes, celles qui font l’office de la monnaie de billon, sont en porcelaine bleue ; les plus recherchées sont rouges (de l’écarlate recouvert d’émail blanc) et s’appellent samsam ; on les nomme aussi kimara-phamba (qui rassasie), parce que les hommes cèdent leur dîner pour les obtenir, et ravageurs-des-villes, parce que les femmes ruinent leurs maris pour en avoir. Il est difficile de deviner ce que deviennent ces ornements ; depuis des siècles on a importé des milliers de tonnes dans le pays ; chaque indigène a sur lui tout son avoir, et cependant le tiers à peine de la population en possède une quantité suffisante.