Page:Le Tour du monde - 02.djvu/367

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féroces ni reptiles venimeux. En fait d’animaux dangereux ils n’ont que le scorpion, la tarentule et le nigua : mais la morsure du scorpion et de la tarentule, bien que très-douloureuse, ne cause pas la mort. Le nigua est très-désagréable ; si on le laisse longtemps sous la peau, il ne peut plus être extirpé et rend une opération nécessaire.

Quant au climat, je n’ai aucun doute que dans l’intérieur, surtout sur les terres rouges, il ne soit agréable et sain, été comme hiver ; mais sur le bord des rivières, dans le pays bas en terres noires, dans les savanes, la fièvre intermittente règne ainsi que la fièvre aiguë. Les cités sont désolées par la fièvre jaune, et dans les dernières années le choléra les a aussi visitées. Dans les villes, l’année, au point de vue de la salubrité, peut être divisée en trois parties : pendant les quatre mois d’hiver, les villes sont saines ; pendant les quatre mois d’été, elles sont malsaines ; les quatre autres mois d’automne et de printemps ont un caractère intermédiaire. Il y a toujours quelques cas de fièvre jaune pendant l’hiver, mais on y fait peu d’attention et ils ne résultent que d’une imprudence excessive. On estime que vingt-cinq soldats sur cent meurent de cette maladie pendant les premières années de leur acclimatation ; pendant l’année du choléra, il en est mort soixante sur cent. La température moyenne de l’île est de 70° Fahrenheit l’hiver, et 83° l’été. L’île est visitée quelquefois par de violentes tempêtes, mais elles n’y sont pas aussi fréquentes que dans les Antilles. Il y a de forts orages l’été, et de grandes sécheresses l’hiver, bien qu’ordinairement la rosée suffise à entretenir l’humidité nécessaire à la végétation dans l’intervalle des saisons de pluie.

Le steamer qui doit n’emmener, le Cahawba, vient d’arriver. Quand une fois le départ est décidé, on trouve un caractère plus étrange et plus pittoresque à la ville que l’on va quitter ; je regardais pour la dernière fois les enseignes familières, les noms des rues, l’obria pia, Lamparilla, Mercaderes, San Ignacio, Obispo, et les jolis et fantastiques noms des boutiques. Il me semblait que les rues étroites avaient bien leur avantage, puisqu’on s’y trouve mieux à l’ombre, et qu’on peut les tendre avec des draperies d’un côté à l’autre, bien qu’on y rende ainsi l’air étouffant. Aucune ville n’a de plus belles avenues que celles de l’Isabel et de Tacon ; et je ne reverrai plus les palmiers dans les pays du Nord. Voici la Dominica : quel charmant endroit le soir, après la retreta, pour prendre le café ou le thé près de la fontaine, dans la grande cour ; c’est le seul lieu public, avec les théâtres, où l’on voie les dames hors de leurs volantes. Il faut quitter tout cela.

Tout le long du quai, où sont rangés les navires et où se fait tout le travail des chargements et des déchargements, est une longue et haute galerie, où l’on est abrité contre les rayons du soleil. Avant qu’elle fût construite, on dit que l’on a vu des ouvriers tomber morts, sur le quai, sous les coups du soleil.

Je trouve à bord du Cahawba ma cargaison d’oranges d’Iglesia, mes confitures de la Dominica et mes cigares de Cabaña ; tous les passagers sont réunis ; le pont est couvert de montagnes d’oranges ; l’ancre est levée, le steamer sort du port avec le pavillon étoilé flottant. Le ciel est rougi à l’occident par le soleil couchant ; les tambours et les trompettes résonnent dans les fortifications, pendant que nous passons devant la Casa Blanca, la Cabaña, la Punta et le Morro. Le ciel s’assombrit, le vaisseau monte et descend sur la vague, la lanterne du Morro jette son rayon sur les eaux, et les rives de Cuba s’évanouissent dans la profondeur de l’horizon.

Après le thé, tout le monde est sur le pont. La nuit est claire, mais je n’ai jamais vu autre chose que des jours et des nuits claires sur mer et sur terre, depuis que j’ai passé le Gulf-Stream, en allant à Cuba. La Croix du Sud est visible a l’horizon, et l’étoile du Nord se montre au-dessus de l’horizon, du côté du septentrion. L’air de Cuba, sur la montagne ou la plaine, l’air d’aucun pays ne peut être comparé à celui de l’Océan, à cet air vigoureux et salin ! Comme on le boit avec avidité ! Que j’aime aussi ce puissant mouvement qui me berce et ferme peu à peu mes yeux ! La nécessité seule du sommeil peut cependant me déterminer à goûter quelque repos dans la splendeur de ces nuits équinoxiales.

Nous arrivons le troisième jour, par un temps frais, devant la côte de la Caroline du Nord ; mais, comme nous restons dans le Gulf-Stream, nous ne voyons pas la terre. Nous voilà sur la grande route du commerce de toute la partie centrale de l’Amérique, et cependant combien peu nous voyons de navires : pas un seul pendant trois jours. Le lendemain, nous sortons du Gulf-Stream ; le temps est plus froid ; un jour après, nous voyons la lumière de Barnegat, à quatre heures du matin, puis les hauteurs de Neversink ; la longue côte de New-Jersey est étendue devant nous ; le port de New-York n’est plus qu’à quatre ou cinq heures. Sur la plage sableuse de Long-Island sont les débris du Black-Warrior, récemment naufragé, l’ancien second de notre Cahawba. Bien loin à l’horizon, du côté de l’orient, et à peine discernable, est l’Europa, en route pour Liverpool. Bien loin de la côte, jusqu’à vingt ou trente milles du port, la mer est tachée de petits bateaux qui font leur pêche pour le marché de New-York ; et des bateaux remorqueurs guettent, en lançant un peu de vapeur, bien loin dans la pleine mer, les vaisseaux qui arrivent. Un pilote vient nous chercher et nous amène dans le port.

Aucun port n’a une aussi belle entrée que celui de New-York : on a devant soi l’ile de Staten, les hauteurs de Brooklyn, la vue lointaine des îles de la rivière Hudson, les faubourgs populeux qui s’étendent dans toutes les directions, la large baie, les clochers élevés et les hautes maisons de la ville, et la forêt entrelacée des mâts des navires.

Il n’y a pas encore de neige sur la campagne et sur le sommet des maisons, mais les arbres dépouillés de feuilles, le gazon desséché, les lourds paletots et les fourrures forment un contraste saisissant avec les chapeaux de paille, les habits de toile blanche, les persiennes abaissées et les moissons jaunies par le soleil que je voyais il y a cinq jours seulement.