Page:Le Tour du monde - 02.djvu/405

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Cette étroite vallée, plus nue et plus sombre en certains endroits que la combe de Malaval, ne mérite pas d’être célèbre uniquement à cause de son clapier. Quelques minutes avant d’arriver au village de Saint-Christophe, on franchit un ressaut de rochers et l’on atteint un petit pont d’une arche bordé de garde-fous peints en rouge : c’est le pont du Diable. Il n’est guère de vallée des Pyrénées et des Alpes qui ne se vante d’avoir un pont construit par l’architecte des enfers, mais ces travaux méritent rarement le nom que les montagnards leur ont orgueilleusement donné. Le pont de Saint-Christophe, lui-même, n’offre rien de bien diabolique ; en revanche, la gorge d’où sort le torrent du Diable, et plus bas, l’abîme où il se perd, offrent un spectacle vraiment infernal. En amont, du côté des glaciers de la Selle, l’eau jaillit d’une étroite fissure entre deux rochers perpendiculaires striés de couches noires comme des bancs de houille. Blanc d’écume, le ruisseau descend en cascades qui se séparent, se rejoignent, s’entre-croisent, se séparent de nouveau, puis se réunissent en une seule masse pour tomber sur des blocs éboulés, qui les font rejaillir en fusées de perles sur des buissons ondoyants penchés au-dessus de la chute. Un moment calmée, l’eau du torrent s’étale en tournoyant, puis, glissant au-dessous du pont par un étroit canal, s’abîme une seconde fois dans un gouffre : on voit encore une masse d’écume blanchissant à peine au fond de l’obscurité ; plus bas, on entrevoit les spirales d’un tourbillon, puis la fissure se referme, le torrent reste caché par les lèvres de l’abîme et les branchages des frênes qui croissent dans les fentes des rocs ; la terre semble avoir englouti son fils mugissant. Les églantiers en fleurs, des touffes de fou-

Le pont du Diable, près du village de Saint-Christophe. — Dessin de Sabatier d’après nature.