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Dans les villages où l’on prend la peine de rassembler des provisions pour la mauvaise saison, c’est sur la terrasse de sa maison que le paysan amoncelle la paille destinée à ses bêtes de somme, et, par cette combinaison, il évite les infiltrations des eaux pluviales. Mais au printemps, quand la paille est épuisée, les premières pluies font germer le blé ou l’orge sur le sol de la terrasse qui se couvre de verdure, et donne ainsi au village l’aspect le plus pittoresque.

Aux environs d’Ismeth, le chariot dont on se sert pour transporter les foins est assez ingénieusement construit. L’absence de chemins frayés et la nature marécageuse du sol ne permettraient point aux grands et solides chariots de nos campagnes de circuler facilement. On comprendra comment les habitants ont éludé la difficulté des transports en étudiant le chariot dont ils se servent (voy. p. 156). Deux paires de roues réunies entre elles par une grande perche ou ligne ; au lieu de nos lourds berceaux, deux longues traverses percées de distance en distance de trous ou sont fixées de grandes chevilles aiguisées à leur extrémité, constituent toute la machine, qu’une largeur peu considérable tend encore à rendre plus légère. Le foin, très-long dans ces prairies, est placé en travers et s’enchâsse dans les dents qui le retiennent. Quand on en a accumulé ainsi une certaine quantité, on maintient le tout au moyen d’une perche plantée au milieu. Le riz, le blé et le coton forment les principales cultures du pays. Partout en Asie on rencontre le même instrument de labourage : l’araire, cette charrue des premiers âges, sans oreilles, sans roues. Traînée par une paire de buffles ou de bœufs, elle gratte suffisamment un sol fertilisé par des siècles de repos. Sur cette terre à peine soulevée, on répand à la volée la semence qui doit s’y développer, et, dans les sols légers, quelques branches d’arbres traînées, après les semailles, recouvrent suffisamment la graine.

L’orge occupe une place importante dans l’agriculture chez les Turcs, mais le riz est cultivé de préférence. Toute vallée bien exposée et parcourue par un cours d’eau assez rapide et assez abondant pour servir à des irrigations, est occupée par des champs de riz. Le paysan excelle dans cette culture qu’il aime et soigne comme un vieil héritage. La division du sol en parcelles aux bords relevés, la disposition en gradins insensibles, l’aménagement des eaux, le sarclage, tout est fait avec une rare intelligence. Le riz constitue la nourriture favorite du Turc d’Asie : on sait qu’il est la base du pilaw, leur mets national.

Pour battre l’orge et le blé, on nivelle une partie du sol sur laquelle on étale la récolte. L’instrument qu’on emploie consiste en deux planches fort épaisses, relevées à l’avant et reliées à la partie supérieure par deux traverses (voy. p. 155, fig. 3). Chacune de ces planches est percée, dans une partie de son épaisseur, de trous dans lesquels ont été enchâssés des fragments de silex tranchants, et faisant saillie à la partie inférieure des planches (voy. p. 155, fig. 2). À la traverse antérieure est adaptée une corde que l’on attache au joug d’une paire de buffles. Les lames de silex sont mises en contact avec la couche de céréales étalées sur le sol ; un homme monte sur les planches entre les traverses et chasse les buffles. Au bout de quelque temps, les silex ont haché la paille et les épis.

Le vannage se fait en jetant en l’air le mélange de paille menue et de graines, au moyen d’une pelle divisée en dents grossières dans les deux premiers tiers de son étendue, pour faciliter la séparation du grain de la paille (voy. p. 155, fig. 1).

Le grain, à peine battu, est porté au marché voisin : le paysan ne conserve que la quantité strictement nécessaire à sa consommation et à l’ensemencement de ses terres. L’ensilage est le seul moyen de conservation qu’il connaisse ; le silo est généralement construit sous le sol même de la maison.

Le Turc mange peu de lait : il en fait ou du beurre, en le battant dans une peau de bouc par un mouvement prolongé de va-et-vient, ou du fromage, dont deux espèces surtout, le yoourth et le kaïmak, sont fort répandues.

Le yoourth est un fromage blanc fort acide, que l’on prépare en faisant bouillir du lait et en le laissant refroidir jusqu’à la température du doigt. On prend du lait précédemment aigri, on le délaye dans l’eau, et on en verse quelques gouttes dans le lait qu’on veut faire aigrir. La fermentation s’établit bien vite à la température où se trouve le lait, qui devient aussi très-acide, et constitue le yoourth.

Si on le verse dans un sac pour laisser écouler le petit lait, on obtient le torba yoourth (torba, sac ; yoourth, lait aigri).

Le kaïmak est préparé avec la caillette des agneaux et le lait pur. Il est également égoutté dans un sac.

Les ustensiles de ménage consistent en plats et gamelles de cuivre étamé, et sont aussi simples et aussi peu nombreux que les machines agricoles.

L’apiculture mérite d’être mentionnée, plutôt à cause de la multitude des abeilles que de l’intelligence des soins qu’elles reçoivent. Le plus souvent, la ruche n’est qu’un simple tronc de sapin creusé à l’intérieur. Après y avoir enfermé l’essaim, on bouche les deux extrémités et on ne laisse qu’une petite ouverture. On empile les troncs les uns sur les autres, en dirigeant les ouvertures vers le sud-est, puis un mur en terre vers le nord-ouest, un peu de paille et de terre sur le rang supérieur terminent l’édifice.

Les arbres fruitiers, peu nombreux et mal cultivés, ne donnent point de fruits savoureux. La vigne est un peu mieux soignée, surtout par les Arméniens, qui seuls boivent du vin. Les Turcs ne la cultivent que pour ses fruits, avec lesquels ils fabriquent une sorte de raisiné.

Les belles forêts qui recouvrent une partie des chaînes de montagnes de l’Asie Mineure offrent aux chantiers de Constantinople des ressources infinies. Diverses espèces de chênes, des sapins, des hêtres, des charmes, des platanes, des tilleuls aux feuilles argentées, des noyers, des châtaigniers forment les essences principales. Jetées çà et là par la nature, elles végètent à leur guise,