Page:Le Tour du monde - 03.djvu/179

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pendant trois heures le long de côtes plus ou moins rapides ou glissantes et bordées de précipices.

Vers six heures du soir, nous arrivâmes à Prœstsœter, chalet entouré de pâturages et dépendant de la cure de Lomb. Chevaux et cavaliers étaient harassés après dix-sept heures de fatigues consécutives ; aussi fûmes-nous ravis de nous étendre sur les lits rustiques de l’établissement. Dans la planche formant le pied de chaque lit étaient grossièrement sculptées en creux différentes empreintes de pieds humains ; ces hiéroglyphes demandaient une explication ; Liva, la fille du logis, voulut bien nous la donner. Elle nous apprit que, lorsqu’une jeune mariée prenait possession pour la première fois du lit nuptial, l’usage voulait qu’elle y laissât une empreinte de son pied. Cette jeune fille avait une finesse de traits remarquable ; un mouchoir jaune entourait sa jolie tête suivant la coutume du pays. Un délicieux repas, composé de truites excellentes, d’un rôti de renne sauvage et du vin chaud épicé ne perdirent rien à être servis par elle.

Cascade d’Opthun.

Le lendemain nous vit pénétrer sous le toit hospitalier du presbytère de Lomb, où le prince de Suède avait trouvé asile la nuit précédente et où nous reçûmes aussi un accueil tout aimable de son pasteur jovial et de sa famille.

L’église de Lomb est fort curieuse : de bois comme toutes les anciennes églises norvégiennes, elle est mieux tenue que les autres, grâce au zèle de son pasteur, qui est membre de la Diète et a fait voter les fonds nécessaires à son entretien.

Le reste du jour se passa tantôt en carriole sur les hauts plateaux, tantôt en barques sur le lac de Waagevand, que nous quittâmes pour venir coucher fort tard à Lauergaard, auprès d’un défilé célèbre par la tombe sanglante qu’y trouvèrent, en 1612, neuf cents Écossais à la solde de la Suède, lesquels étaient entrés dans le pays par le nord, pour en faire l’invasion, de concert avec des troupes suédoises qui devaient les rejoindre par le sud.

Le colonel Sinclair, qui commandait ces mercenaires, avait juré de faire du lion norvégien une taupe qui n’oserait jamais à l’avenir sortir de son trou ; il avait de plus promis à chacun de ses soldats une jolie vierge et une bonne ferme dès que le pays serait conquis. Un paysan de la contrée, dit la tradition, attaché par une corde et les mains liées derrière le dos, servit de guide aux Écossais jusqu’au Guldbrantsdalen ; là il parvint à s’échapper et à donner l’éveil aux habitants déjà effrayés par les cruautés commises par les soldats étrangers. Les montagnards quittèrent leurs paisibles demeures et tinrent conseil. À Kringle, dans le Guldbrantsdalen, et tout près de notre gîte, la vallée est extrêmement resserrée ; un endroit où la route est encaissée entre un rocher presque perpendiculaire et le fleuve profond et raide, fut choisi pour y dresser une embuscade à la colonne ennemie. Celle-ci s’avançait sans défiance, en poursuivant des paysans armés de faux dont la mission était de détourner l’attention des envahisseurs des crêtes de la montagne, derrière lesquelles trois cents Norvégiens résolus avaient entassé des amas de rocs et de troncs d’arbre.

Fille et garçon de Lauergaard.

Une jeune femme, Pillar-Guri, renommée par son talent à sonner de la corne alpestre, était placée en sentinelle de l’autre côté du fleuve, et devait donner un premier signal dès que la colonne s’engagerait dans le défilé, puis un second, au moment où la majeure partie de l’ennemi serait arrivée sous l’embuscade même. L’avant-garde passa sans encombre ; alors le cornet retentit ; les Écossais s’arrêtèrent un instant à l’ouïe de ces sons profonds et sinistres ; mais la musique de