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sourire gracieux et sympathique, les dents incomparables, malheureusement les pieds un peu forts, mais les mains à mettre la cervelle aux abois. On a prétendu qu’en Portugal la femme n’est pas la plus belle moitié du genre humain. Ceux qui ont publié cela n’ont jamais parcouru les provinces septentrionales de cet aimable petit pays. Les Portugaises, de cette région au moins, n’ont, il est vrai, ni l’œil brûlant de l’Andalouse, ni la démarche engageante de la Parisienne, ni le teint de lis et de rose de la fille d’Albion ; malgré ce qui leur manque, elles sont de bonne et fine race. Bien plantées sur les jambes, la taille hardiment découpée, quoique un peu épaisse, les attaches menues, le teint mat, la tournure assurée, quoique un peu roide, la tête bien placée et toujours parfaitement encadrée, elles portent avec une aisance plutôt modeste que délurée, la courte jupe et le large chapeau de feutre.

Les hommes et les femmes ont du reste un je ne sais quoi de fier dans l’attitude du corps, dans l’expression du visage, qui ne leur messied pas du tout. Ce sont, à bien prendre, les descendants d’un peuple dont l’histoire est fertile en prodiges, et qui au prix de rudes combats, de douloureux sacrifices, a conservé son indépendance, et je comprends que ses souvenirs ajoutent au caractère portugais une légère pointe d’orgueil. On dit que cet orgueil tourne souvent en vanité fanfaronne, en susceptibilité méprisante, et à l’appui on raconte une historiette dans laquelle, assure-t-on, le caractère de la nation se peint au vif.

Voici l’historiette :

Un Portugais se noyait un jour dans le Tage. Du pont de Tolède un Espagnol le regardait se débattre contre la mort, et, comme de juste, s’abstenait de lui porter secours. Dans cette circonstance critique, perdant le sentiment de sa dignité, le Portugais consent à s’adresser à cet homme, témoin indifférent du danger qu’il court, et s’écrie : « Espagnol, Espagnol, viens me tirer de l’eau et je te fais grâce de la vie. » On ne dit pas ce que fit le Tolédan, mais je crois qu’il laissa le Portugais se noyer bel et bien. Quoi qu’il en soit, le lecteur jugera sans doute qu’il y aurait quelque témérité à rendre responsables de la sotte vantardise d’un seul, les trois ou quatre millions d’individus qui peuplent le royaume du Portugal et des Algarves.

Château de Guimaraens — Dessin de Catenacci d’après une photographie de M. Lefèvre.

Pourquoi, d’ailleurs, ne nous montrerions-nous pas indulgents pour un travers de cette sorte, si travers il y a ? Le Breton n’est-il pas entiché de ses annales constellées de jours glorieux ? le Bourguignon ne parle-t-il pas avec emphase de l’ancienne splendeur de sa province qui fut grande en effet par les lettres, les arts, et les armes ? le moderne Phocéen ne jouit-il pas d’un renom établi en tous lieux d’imperturbable outrecuidance ? dans le monde entier, l’enfant de la Gascogne n’a-t-il pas le monopole d’un genre de jactance auquel il a donné son nom ? enfin le Parisien ne s’attribue-t-il pas sur tous les peuples de la terre, présents ou passés, une supériorité, réelle peut-être, mais dont il s’exagère à coup sûr l’importance ? En nous considérant nous-mêmes, nous apprendrons à perdre un peu de notre injuste exigence envers les autres, et si un sentiment puéril de gloriole, un brin trop accentué de suffisance viennent déparer le caractère portugais, nous excuserons le fait en mémoire des grands et immortels souvenirs qui sont sa raison d’être et le justifient.

Quoi qu’il en soit, le Portugais, simple et accueillant par nature, est toujours pour l’étranger en fonds d’aménité et de bonne humeur. Partout où il se présente, le voyageur est le bienvenu. S’il ne se montre ni railleur, ni dépourvu de savoir-vivre, il voit le logis ouvert, la table servie ; il est convié aux fêtes de famille, il pénètre dans les clubs, dans les cercles ; en sa faveur l’indigène épuise, avec la plus élégante bonne grâce, le