Page:Le Tour du monde - 03.djvu/32

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et le gouverneur y fit placer un obusier, dont les coups, bien dirigés, vinrent frapper la kippe de la rive gauche et en expulser l’ennemi.

L’éclat de ces explosions arrivait à Médine ; mais Paul Holl les attribuait au Guet-Ndar, qu’il supposait dégagé et cherchant de nouveau à remonter jusqu’à lui.

Il fit placer tout son monde au poste de combat ; puis, ordonnant de hisser les couleurs nationales, attendit avec une vive émotion les événements qu’il pressentait.

Cependant le gouverneur, toujours sur la rive droite, ordonnait au bateau à vapeur le Basilic, — commandant Milet, de s’engager dans le passage ; il secondait ses efforts en tenant rudement en échec les Al-Hadjistes placés en face. Le bateau, forçant de vapeur et gagnant à peine un mètre par seconde, franchit enfin ce dangereux rapide.

Fort de Mérinaghem, dans le Oualo, sur le lac de Guier, à soixante kilomètres de Saint-Louis. — Dessin de E. de Bérard d’après Nouveaux.

Paul Holl, au moyen d’une lunette, avait, jusqu’à ce moment, parfaitement distingué les ennemis de la rive gauche, tirant dans la direction du fleuve… tout à coup, il remarque un groupe placé sur la kippe de ce côté qui, au lieu de diriger ses coups sur le fleuve, les projette dans la plaine ; étonné, ne pouvant se rendre compte de cette manœuvre, mais saisi d’un pressentiment, il se met à examiner avec une profonde attention le point d’où partent les coups ; il croit reconnaître des hommes vêtus d’un costume européen ; mais toujours dominé par la pensée que le Guet-Ndar tente le passage, il hésite… cependant, il redouble d’attention, et, bientôt aperçoit distinctement des combattants portant des bottes et coiffés de chapeaux de paille… Plus de doute, ce sont des libérateurs… Le gouverneur est là ! Paul Holl court à la cloche, l’agite, appelle tout son monde… « Voilà les blancs ! voilà les hommes du Sénégal ! voilà le gouverneur ! Allons, mes amis, sus aux Al-Hadjistes ! »

Sarnbala accourt ; il a compris qu’il faut se précipiter au dehors.

« De la poudre ! de la poudre ! dit-il à Paul Holl.

— Il y a longtemps que je n’en ai plus, reprend Paul Holl.

— Comment, réplique Sambala, tu m’avais dit que ton magasin en était plein !

— Mais si je t’avais avoué ma pénurie, qu’aurais-tu fait ? »

Sambala réfléchit et dit : « Vous autres blancs, vous êtes des hommes habiles ; si j’avais su que la poudre manquait, peut-être aurais-je abandonné la partie… tu as bien fait de me le cacher… je te remercie… »

Quelques instants après, les assiégeants, pris entre les baïonnettes des assiégés et la mousqueterie de la troupe libératrice, se débandaient dans toutes les directions, et le gouverneur pénétrant dans le fort, s’assurait par lui-même de ce qu’il avait fallu d’énergie pour résister, pendant quatre-vingt-quinze jours, au milieu de privations si horribles, à un ennemi si déterminé[1].

Le prestige d’Al-Hadji ne s’est jamais relevé de cet échec. Un an plus tard, la prise de Guémou par les Français, et la destruction de cette place d’armes qu’il avait tenté d’élever en face de Bakel, lui portèrent le dernier coup. À dater de ce moment, il a disparu de la zone occupée par nos établissements, et le bruit de ses actes ne nous parvient plus que comme le retentissement de plus en plus affaibli d’un orage qui s’éteint à l’horizon.

(La suite à la prochaine livraison.)



  1. Paul Holl, nommé chevalier de la Légion d’honneur, est aujourd’hui commandant civil du fort de Saldé (arrondissement de Bakel).