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couchés, suivant la mode mexicaine. Une toile blanche forme pour l’ordinaire le toit. Une tonnelle ou ramada, espèce d’atrium, précède souvent la porte d’entrée. C’est là que l’été les mineurs prennent leurs repas, font la sieste, furent leur pipe et dorment la nuit. La case, pour employer le terme en usage chez les Français, n’occupe qu’une faible surface. Elle reçoit le jour par la porte et par une petite lucarne latérale. Plusieurs couchettes en bois, véritables lits de camp, remplissent l’appartement : ce sont les lits de tous les camarades de travail. Une cheminée, grossièrement construite en pierres, occupe l’un des côtés ou le fond de la cabane. Elle sert à préparer la cuisine et à chauffer la case en hiver ; c’est l’annexe obligée de toute cabane de mineur. Vaste et large, comme les cheminées de nos anciens manoirs, elle peut engloutir des arbres entiers, et on la nourrit avec usure, car le bois ne coûte rien dans le pays. Dans l’un des coins de l’étroit réduit sont quelques étagères pour supporter le modeste appareil qui forme la batterie de cuisine ; dans l’autre coin est la table qui sert au repas. Elle est formée de quatre ais mal joints, portant deux planches juxtaposées. Çà et là, des clous sur les parois de la cabane servent à pendre les habits. À terre, sur un sol non planchéié, des bottes qui se cherchent, des savates, des vêtements en lambeaux, quelques outils : c’est l’égohine ou scie à la main, la hache pour débiter le bois, et le marteau muni d’une hachette, tous compagnons inséparables du vrai mineur californien. Sur les murs sont parfois collées quelques gravures représentant des sujets divers. Malgré tout ce désordre, une assez grande propreté règne généralement dans la case, surtout quand c’est un Français qui l’occupe, et rien ne vient en rendre le séjour désagréable.

Aubert, mineur, allant à la découverte. — D’après un dessin original.

En vertu de la complète sécurité qui règne maintenant dans le pays, la porte ne se ferme jamais à clef. C’en est fait, du reste, du passant que l’on prend en flagrant délit : le revolver en fait prompte justice. À quelque distance de l’entrée est fixé à un arbre le moulin mécanique qui sert à moudre le café de chaque jour. Au pied de cet arbre est parfois la cabane d’un chien, compagnon du mineur, et fidèle et nocturne gardien de la maison.

Si le claim, le placer est le lieu de travail du mineur, travail bruyant et animé, surtout pour les Français, le camp est le lieu des distractions, et les buvettes, les établissements de tous genres y abondent. La cabane, au contraire, est non-seulement le lieu paisible de la demeure, mais aussi l’endroit des émotions douces et calmes. Les Français, ces éternels causeurs, savent y égayer leurs veillées ; ils aiment à s’y rappeler le beau pays de France, qu’ils ont quitté peut-être pour jamais. Ils y parlent des aventures californiennes, si émouvantes aux beaux jours de la découverte de l’or. Ils y citent sans cesse, avec un nouveau regret, les fortunes faites aux premiers temps de l’immigration, et jetées dans la dissipation ou les affaires malheureuses. C’est l’espoir toujours nourri et presque toujours trompé de faire encore une fois fortune et de revoir le pays natal ; c’est l’envie que l’on a sans cesse de changer sa position actuelle pour une autre peut-être meilleure ; c’est aussi la lecture des romans dont on suit avec ardeur les héros dans leurs aventures imaginaires. À cette lecture se mêle celle des journaux qu’on commente ; et l’on conçoit de quel intérêt ont été pour les mineurs français de Californie ces échos lointains de la patrie, à l’époque des dernières guerres d’Orient, d’Italie et de Chine.

Je n’avais pas, seul dans ma cabane, les mêmes sujets de distraction que les mineurs, pour charmer mes soirées solitaires. Aussi désertai-je quelquefois mon gîte ; et, monté sur ma mule fidèle, je visitais quelques-uns de mes voisins. Souvent je poursuivais ma course jusque sur les bords de la Merced. J’allais voir un compatriote ami, plus heureux en d’autres temps en France, et alors établi comme mineur sur le plateau des Tarentules au nom de mauvais augure. Il avait assisté aux orageuses tempêtes qui marquèrent la naissance de l’Eldorado, et lui-même avait failli un jour être victime d’une application de la loi de Lynch. C’était l’époque où des assassinats nombreux faisaient de continuelles victimes sur les placers. Un meeting de mineurs jugeait, séance tenante, le coupable quand on pouvait le saisir, et, à la majorité des voix, on le condamnait à être pendu. Une corde et un arbre composaient tout l’appareil du supplice ; le jury était formé de mineurs rassemblés, à la fois juges et bourreaux.

Voici comment mon ami me raconta l’aventure dont il faillit être la victime :

« Je gagnais un soir la ville de Colombia. On était en hiver, la nuit était sombre et ma mule n’avançait qu’avec défiance. Ne sachant comment reconnaître la route et retrouver la ville, je me dirigeai vers une cabane où je voyais poindre une lumière. Comme je mettais pied à terre, la détonation d’une arme à feu me fit craindre d’avoir été pris pour un voleur. J’essayai de me remettre dans mon chemin, et j’arrivai enfin à une buvette où des mineurs à moitié ivres s’abreuvaient de whisky et de gin. Je leur raconte l’événement. « C’est toi qui es le coupable, crient d’une seule voix tous les buveurs, et tu vas payer la peine de tes méfaits. — Moi ! répliquai-je ; mais comment viendrais-je alors me livrer à vous ? — Oui, c’est toi, et c’est toi aussi le misé-