Page:Le Tour du monde - 06.djvu/294

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tume des prêtres espagnols diffère peu de celui des nôtres, si ce n’est par le chapeau, qui rappelle absolument celui de don Basilio, dans le Barbier de Séville ; cette coiffure invraisemblable ressemble beaucoup à un tuyau de poêle d’un mètre de long, percé d’un trou au milieu, qu’on se mettrait horizontalement sur la tête.

Le torrent n’ayant plus que deux ou trois pieds d’eau, nous nous remîmes en route, et la diligence put le franchir sans trop de difficulté, bien que l’eau entrât presque par les portières ; quelques heures après, nous arrivions à Tordera, station extrême du chemin de fer qui doit, dans quelques années, être terminé jusqu’à la frontière de France, et reliera Perpignan à Barcelone. La gare provisoire était encombrée de paysans se rendant à la capitale pour y vendre leurs fruits et leurs légumes ; l’heure du départ avait sonné depuis assez longtemps : cette ligne nous parut ne pas se piquer d’une grande exactitude, et nous eûmes assez souvent, par la suite, l’occasion de remarquer que ce n’est pas là la principale qualité des chemins de fer espagnols. Cette fois, du moins, nous n’eûmes pas à nous plaindre du retard, car l’intérieur des wagons de troisième classe nous offrait les scènes les plus amusantes et les plus pittoresques : des paysans catalans, au large pantalon de velours, retenu par une ceinture rayée, à la veste courte, coiffés du gorro, ou long bonnet de laine rouge, étaient groupés au milieu de véritables montagnes de melons, de fruits de toutes sortes ; les uns dormaient tranquillement, embossés dans leurs mantes, d’autres fumaient leur papelito ; inutile d’ajouter que ce tableau ne fut pas perdu pour Doré, et que son album s’enrichit d’un croquis de plus (voy. p. 289).

Les serenos à la Junquera (voy. p. 292). — Dessin de G. Doré.

Le chemin de fer de Barcelone suit presque constamment le bord de la mer ; peu de parcours sont aussi agréables, et le paysage rappelle beaucoup celui qu’on admire quand on va de Naples à Castellamare ; à gauche la mer bleue comme le ciel et unie comme un miroir était sillonnée par de nombreuses barques de pêche, dont les longues voiles latines se penchaient sous la brise matinale, blanches et effilées comme les ailes d’un goëland ; à droite, une plaine où le caroubier et l’oranger montrent leur feuillage d’un vert sombre ; de Tordera à Barcelone, le chemin de fer traverse une quinzaine de villages et plusieurs villes, dont la plus industrieuse est Mataro ; les nombreuses cheminées de ses fabriques font penser à la brumeuse Angleterre sous un ciel toujours pur. Chaque côté de la voie est bordé d’une haie de cactus : ce genre de clôture est infiniment plus agréable à l’œil que celui qu’on emploie chez nous ; la voie, qui suit les sinuosités du rivage, est presque au niveau du flot, et quand la mer est forte, il semble que les rails vont être submergés ; quand on est au large, il y a un effet de perspective singulier ; nous pûmes en juger un jour que nous faisions une promenade en mer, à peu de distance de Barcelone : un train passait et paraissait marcher sur l’eau ; c’est ainsi que, lorsqu’on suit de près les côtes de Hollande, la terre disparaît à l’œil, et les arbres semblent sortir de l’eau (voy. p. 296).