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VOYAGE À LA CITÉ DES SAINTS,

CAPITALE DU PAYS DES MORMONS,

PAR M. LE CAPITAINE RICHARD BURTON[1].
1860 — TRADUCTION ET DESSINS INÉDITS.


IV

L’Endowment-House. — Baptême. — Initiation.

Immédiatement au nord du Tabernacle est un berceau de feuillage, le Bowery, composé de branches vertes attachées à des poteaux, et qu’on laisse flétrir sans les renouveler ; nous en décrirons l’intérieur à propos de l’office du dimanche.

À l’extrémité nord-ouest du block s’élève un autre édifice, l’Endowment-House (la maison où l’on est doué), qu’une palissade en bois sépare du Tabernacle. Bâti en adobe, il est formé d’une partie centrale beaucoup plus haute et plus étroite que les ailes, recouverte d’une toiture à un seul égout, et percée de quatre fenêtres, dont une est condamnée. C’est le sanctuaire des sanctuaires, l’endroit où le fidèle est initié aux rites secrets. Tout ce qui s’y rattache est soigneusement caché aux profanes ; d’où les anti-Mormons prétendent qu’on y fait des sacrifices humains.

Une relation des mystères effroyables qui s’accomplissent dans ces humbles murs a été donnée par mistress Smith et M. Hyde. S’il est difficile d’admettre ce qu’ils racontent ; si de pareilles inepties paraissent incompatibles avec la respectabilité qui est ici la règle de tous, l’on ne peut nier que ces deux écrivains, qui ont pratiqué le Mormonisme, ne parlent en témoins oculaires[2]. Suivant le public des Saints, il s’agirait simplement d’une

  1. Suite. — Voy. page 353.
  2. Voici ce que dit M. Hyde, ancien ministre mormon : « On a beaucoup parlé de l’admission à la secte du Mormonisme. Les récipiendaires ont tellement exalté cette cérémonie, qu’on a été jusqu’à la proclamer sublime. Quelques hommes, fiers d’en posséder le secret, faisaient de mystérieuses allusions. Ils exhibaient un singulier vêtement qu’ils portaient constamment, et qui leur avait été délivré d’une façon fantastique dans le Temple. Ils promettaient les priviléges de l’initiation à leurs disciples ravis, entre autres la jouissance complète de la bénédiction céleste, etc., etc., etc. Quant à la réalité du rite observé, elle restait enveloppée du plus profond silence. Tous les initiés, sous peine d’un châtiment terrible, ne devaient faire aucune révélation, s’obligeant, par serment, à subir une mort violente et cruelle s’ils découvraient « le mystère ». Autant que ma mémoire me sera fidèle, j’essayerai de donner une idée de ces cérémonies. J’ai fait le serment de me taire à ce sujet, cependant je n’hésite pas à violer ce serment ; avant tout, j’ai un devoir à remplir envers Dieu et envers le monde, et quant aux châtiments suspendus sur ma tête, c’est au monde et à Dieu que je m’en remets pour mon salut.

    « Un vendredi 10 août 1854, conformément aux injonctions que je reçus, sans autre formalité que de revêtir une chemise blanche, ma femme et moi nous nous rendîmes à la chambre du conseil vers sept heures du matin. Trente personnes environ attendaient ce jour-là qu’on les admît à l’initiation. On enregistra minutieusement nos noms, la date de notre naissance, de nos mariages, etc. Nos reçus du bureau des dîmes furent aussi exactement examinés, par cette vieille raison qu’avant d’entendre la musique, il faut « payer les violons. » Tous ceux qui n’avaient pas encore été mariés harmoniquement subirent cette formalité par les soins de Heber C. Kimball, préposé particulièrement à la consécration dont il s’agit, et nous fûmes introduits dans une longue salle divisée en petits compartiments par des boiseries peintes en blanc. Un silence religieux ajoutait à la solennité. Nous eûmes à laisser nos chaussures dans le bureau extérieur. Ceux qui présidaient à la cérémonie portaient des pantoufles, et les différents ordres se donnaient à voix basse. Les hommes furent dirigés d’un côté, les femmes de l’autre. Le sifflement du bois dans le poêle troublait seul le silence sinistre de la scène. La nouveauté de la situation, l’incertitude et l’attente de ce qui allait se passer, les figures attentives et sérieuses. la blancheur même des vêtements, tout était calculé pour exciter des impressions superstitieuses. Les hommes furent appelés un à un par un signe de doigt. Ce fut bientôt mon tour. On m’enjoignit de me déshabiller, et je fus alors plongé dans une baignoire de zinc ordinaire, peinte en dedans et en dehors. Un docteur Sprague, qui, soit dit en passant, est un des hommes les plus impurs que j’aie jamais vus, officiait en qualité de « baigneur. » Cette cérémonie consistait à laver le corps entier dans de l’eau tiède, et à bénir chaque membre avec une formule sacramentelle particulière, depuis les pieds, pour leur transmettre la vitesse convenable en suivant les voies de la droiture, jusqu’à la tête, pour obtenir un esprit fort. Une fois bien lavé et déclaré dûment purifié du sang de cette génération, je passai aux mains de Darlay P. Pratt, assis dans un angle de l’appartement et chargé de donner à chaque homme ainsi lavé « un nouveau nom » sous lequel il serait connu désormais dans le royaume céleste. Je reçus l’appellation d’ « Enoch, » et je fus reconduit à notre chambre d’attente, où chacun, assis à tour de rôle sur un tabouret, recevait sur la tête l’onction d’une huile parfumée contenue dans un récipient d’acajou en forme de corne, par le moyen d’une spatule de même bois. On frottait de ce liquide les yeux, le nez, les oreilles, la bouche, les cheveux, enfin toutes les parties du corps, de manière à ce que toutes en fussent convenablement pénétrées et parfumées. Cette opération était accomplie par les ministres Taylor et Cummings, avec une formule de bénédiction semblable à celle du bain, et préparait à recevoir l’ordination de « Roi et Prêtre de Dieu et de l’Agneau, » laquelle ne peut se transmettre que dans le sanctuaire du Temple. Ainsi oints et bénits, nous eûmes à revêtir la « robe » de mousseline ou de lin qui nous couvrit le corps depuis le cou jusqu’aux poignets et aux chevilles, et, qui ressemble assez à un vêtement de nuit d’enfant. Par-dessus cette robe, on nous passa une chemise, puis une toge de toile drapée et réunie en plis sur l’épaule, et qui, attachée par une ceinture autour de la taille, retombait jusqu’à terre. On ajouta un petit tablier carré, semblable pour sa forme et sa grandeur aux tabliers des francs maçons, et généralement fabriqué en toile ou en soie blanche, avec des feuilles de figuier peintes ou brodées. Un bandeau de même étoffe sur la tête, des chaussettes et des souliers de toile ou de coton blancs complétaient l’accoutrement. Pendant que nous procédions à ce déguisement, une farce se préparait dans le compartiment voisin. C’était la représentation de la Création du monde. Elohim se concertait avec Jéhovah, Jésus et saint Michel, sur le moyen de créer et de peupler la terre. Il envoie en messagers ces trois personnages pour donner un coup d’œil sur ce qu’il y a à faire, et lui rapporter le résultat de leurs observations. Ils feignent de partir, d’examiner et de revenir avec leurs renseignements. On met alors en action le premier chapitre de la Genèse, Elohim s’inspirant du verset « et Dieu dit ; » les trois autres faisant semblant d’aller exécuter ses ordres, et disant au retour : « Et ainsi fut. » Quand ils arrivèrent à la création de l’homme, les trois per-