Page:Le Tour du monde - 07.djvu/102

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possible de la traîner dans des sentiers à peine assez frayés et assez larges pour le passage d’un homme ; du reste, les Dahomyens n’ont pas de projectiles pour leurs canons. Ils sont équipés de fusils, de flèches, de sagaies et de sabres ; mais ils se servent maladroitement du fusil, qu’ils tirent sans épauler (j’en excepte pourtant les chasseresses d’éléphants). En revanche, ils manient bien leur sagaie, lance de huit à dix pieds de longueur, à manche très-léger, avec lesquelles ils atteignent presque à coup sûr le tronc d’un palmier à quarante ou cinquante pas de distance. Une fois en campagne, l’armée vit aux dépens du pays ennemi, qu’elle ravage de fond en comble : ces expéditions sont de véritables razzias de bétail et d’hommes, partagés, après la victoire, entre le roi et les principaux chefs.

La justice est rendue par les gouverneurs des provinces ou cabéceirs, qui connaissent des délits ordinaires ; mais pour ceux qui entraînent la peine de mort, ils sont soumis à la décision du roi. Quand les juges sont embarrassés, ils ont parfois recours à ce qu’on appelait au moyen âge, en Europe, le jugement de Dieu. On y procède de deux manières : en faisant boire à l’accusé une décoction d’une certaine écorce (peut-être celle du casca, répandue sur cette côte et jouissant de propriétés vomitives énergiques) dont les prêtres ont le secret : s’il la supporte sans vomir, il est reconnu innocent, et, dans le cas contraire, coupable ; ou bien cette épreuve peu concluante, il faut l’avouer, est remplacée par la suivante qui ne l’est pas plus : on fait rougir à blanc le fer d’une sagaie, et l’accusé passe rapidement sa langue trois fois sur le métal incandescent ; s’il n’est pas brûlé, c’est qu’il est innocent. Je fus un jour témoin d’un jugement de ce genre ; le pauvre diable (c’était un esclave accusé de vol), horriblement martyrisé, reçut encore, pour comble de chance, une vigoureuse bastonnade. C’est le châtiment le plus ordinairement infligé aux gens de la basse classe ; quant aux riches et aux chefs, c’est par les amendes, la confiscation ou la privation de leur dignité qu’ils sont punis ; l’emprisonnement est inconnu, et par conséquent il n’existe nulle part de prison.

Parmi les crimes punis de mort, il faut compter celui d’entretenir des relations coupables avec les femmes du roi ou même les amazones. Les deux coupables sont passibles de la même peine, dont l’exécution est réservée le plus souvent pour la fête des Coutumes. Il est arrivé plusieurs fois, paraît-il, que des individus condamnés sur la dénonciation de quelque chef, au moment d’être immolés sous les yeux du roi, profitaient de cet instant suprême pour protester de leur innocence et obtenir grâce de la vie. Mais le méhou, pour mettre fin à cet abus qui troublait, dit-il, la cérémonie, a ordonné depuis quelques années que les condamnés fussent conduits bâillonnés à la case des sacrifices : de cette façon il n’y a plus de réclamations. C’est le minghan, sorte de compère Tristan de ce Louis XI d’ébène, qui exécute ces jugements sans appel. Aussi, ne paraît-il jamais devant le roi sans être muni de l’énorme sabre surmonté d’un coq, dont nous avons parlé, et qui est à la fois l’insigne de sa charge et l’instrument de ses sanglantes exécutions. Justice faite, la tête du supplicié, séparée du tronc, est placée sur les crochets de fer qui surmontent les murs d’enceinte de la case royale. Que deviennent les cadavres ? J’ai souvent posé cette question à des Dahomyens de diverses classes, et je n’ai jamais pu obtenir une réponse bien catégorique. Cependant je ne crois pas les Dahomyens anthropophages : la sanglante tragédie qui se joue chaque année à la fête des Coutumes n’a d’autre but que la satisfaction de cet instinct inné de cruauté, qui porte la plupart des enfants à faire souffrir les êtres plus faibles qu’eux et qu’on retrouve chez ces peuples toujours en enfance. Il pourrait se faire néanmoins qu’ils attachassent quelque idée superstitieuse à la consommation de ces restes et qu’ils servissent à de secrètes et révoltantes agapes ; mais, je le répète, je n’ai là-dessus que des soupçons qu’ont fait naître dans mon esprit l’hésitation et l’embarras des noirs que j’ai interrogés à ce sujet.

De vastes forêts, où domine le palmier, couvrent presque entièrement la partie du Dahomey située entre Abomey et la mer. Quelques plaines cultivées environnent seulement les principaux villages ; mais lorsque, après avoir franchi la Lama et gravi les pentes qui forment ses berges, on arrive sur les plateaux où sont situés Cana et Abomey, la scène change. Ce sont de vastes plaines, légèrement ondulées, semées, surtout aux abords des villages, de bouquets de palmiers, de dragonniers et de fromagers. Tantôt on disparaît dans les prairies de hautes herbes, tantôt on traverse de belles cultures de mil, de manioc, d’igname et de maïs. Les terrains marécageux sont réservés pour la production du riz, qui, avec la farine de maïs et les ignames, est la nourriture habituelle des noirs. La viande y est rare, parce que l’élève des bestiaux n’entre pas dans les habitudes agricoles d’un pays où le fumier serait inutile, la terre rendant sans engrais le centuple de ce qu’on lui confie. Du reste, aucune de ces productions n’est exportée, et l’huile de palme seule alimente le commerce du Dahomey, pays où l’ivoire et l’or sont moins abondants que sur d’autres points de la côte occidentale d’Afrique. Il faut ajouter de suite que ce produit donne lieu à des transactions d’une grande importance et qui permettent à ceux qui s’y livrent de réaliser des bénéfices vraiment extraordinaires : je pourrais citer telle maison française où ils se chiffrent par millions. Tout le monde sait que cette huile provient des fruits du palmier à huile (Elaïs Guineensis), d’où les naturels l’extraient en les broyant imparfaitement et en les traitant par l’eau bouillante et l’expression.

Le coton paraît venir sans culture. Il appartient à l’espèce Gosypuens arborescens (à laine courte), l’une des meilleures qui existent ; malheureusement il est très-peu abondant, et loin de pouvoir en exporter, les habitants du Dahomey n’en ont pas assez pour leur consommation, car ils achètent aux factoreries une grande quantité de cotonnades. Ils fabriquent pourtant des étoffes de coton ; mais leurs métiers sont très-im-