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trois tables (une pour chaque groupe), on plaça devant chacun d’eux un verre de rhum, et le roi montant sur la plate-forme la plus élevée, adora solennellement ses fétiches nationaux, et s’inclina devant les captifs, dont les bras droits furent alors déliés pour leur permettre de prendre les verres de rhum et de boire à la santé du monarque qui les vouait à la mort. Cette partie du cérémonial terminée, on porta, en procession les vêtements et ornements du feu roi Ghézo. Puis commença la grande revue des troupes dahomyennes dont Bâhadou harangua chaque corps particulier au moment du défilé, leur promettant à tous le sac d’Abbéokuta pour le mois de novembre. La plupart de ces soldats portaient des armes à feu. Un bataillon d’élite était même muni de carabines rayées ; mais la grande majorité n’avait que des fusils à silex. L’artillerie consistait en vingt-quatre pièces de douze, et une parfaite discipline semblait régler toutes les manœuvres de cette armée, dont le nombre total ne peut être évalué à moins de cinquante mille combattants, dont dix mille amazones. Le revue terminée, les trois groupes de captifs eurent la tête tranchée ou plutôt sciée avec des couteaux ébréchés. Les chevaux et l’alligator furent égorgés en même temps et les sacrificateurs apportèrent un soin minutieux à mêler leur sang à celui des victimes humaines…

Victimes jetées au peuple dahomyen du haut de la plate-forme royale (22 juillet 1862). — Dessin de Foulquier d’après Forbes.

« Lorsqu’il n’y eut plus rien à tuer dans Abomey, on me permit enfin de quitter cette ville, et je n’ai pas besoin de dire avec quel soulagement et quelle hâte je sortis de cette capitale de bourreaux, dont le chef, dans sa munificence, me fit remettre, comme indemnité de déplacement et frais de route, huit filières de cauris (environ vingt-quatre francs), une pièce de cotonnade du pays et un flacon de rhum. »

Nota. — Le mois de novembre s’est passé sans réaliser les espérances sanguinaires du Bâhadou. Les rivières, grossies outre mesure par les pluies de l’équinoxe, ont mis provisoirement Abbéokuta à l’abri de ses menaces, et, au moment de mettre ces pages sous presse, nous apprenons que le commandant de l’escadre anglaise des mers occidentales d’Afrique vient de se rendre à Abomey, pour signifier au fils de Ghézo le veto britannique. Quels que soient les termes et les résultats de son message, l’humanité ne peut que s’en féliciter.

Pour extrait et traduction : F. de Lanoye.