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ces larges portails que le ciseau avait chargés de riches ornements, et pénétrons dans un de ces palais qui étaient la demeure du souverain. L’intérieur en devait être aussi imposant que magnifique. Une longue suite de salles, accompagnées d’une multitude de chambres et d’appartements privés, se succédaient au loin et couvraient une immense surface. Telle de ces salles, qui ont été déblayées, avait au delà de cent pieds de longueur et une largeur presque égale. Les plafonds de ces pièces gigantesques devaient être soutenus par des rangées de colonnes, quoique jusqu’à présent on n’en ait rencontré que de rares vestiges. On a trouvé, néanmoins dans les déblayements de Koïoundjik, des piédestaux encore rangés dans un ordre régulier. On peut très-probablement prendre une idée de la disposition de ces colonnades intérieures par celle de quelques grandes habitations actuelles des habitants sédentaires de la Mésopotamie. On voit dans quelques bas-reliefs la colonne employée comme décoration extérieure. Les parois des salles étaient, nous l’avons dit, revêtues de tablettes de marbres sculptées, et une partie au moins, sinon la totalité de ces sculptures, était rehaussée de vives couleurs. À l’extrémité supérieure de quelques-unes des salles, la figure colossale du roi était en adoration devant le dieu suprême, ou recevait des mains d’un eunuque la coupe emblématique.

Plusieurs portes, toujours accompagnées de taureaux ou de lions ailés, ou de l’image des divinités protectrices, ouvraient sur des appartements qui eux-mêmes conduisaient à d’autres salles, et dans chaque salle se reproduisaient de nouvelles sculptures. Ici l’artiste avait représenté des cortéges royaux se déployant dans toute leur variété ; ailleurs, le roi était monté sur son char, qu’entraînaient de toute leur vitesse de magnifiques coursiers ; ou bien encore c’étaient des files de prisonniers enchaînés défilant devant le trône royal, ou des envoyés étrangers venant offrir en tribut les plus rares produits de leurs contrées natales. Ces dernières scènes ont un intérêt particulier, soit par les costumes et l’aspect des personnages, soit par la nature des offrandes, qui peuvent fournir d’utiles indications sur les pays et les peuples avec lesquels l’Assyrie fut en relations selon les époques. Sous ce rapport, une stèle pyramidale en basalte noir, aujourd’hui déposée au musée Britannique, et dont notre musée du Louvre possède un beau moulage, est d’une grande importance (voy. p. 316). Cette stèle appartient au règne du troisième Salmanasar. Partout dans ces palais le pied foulait des dalles de marbre blanc pareilles aux revêtements des murailles, et toutes couvertes d’ornements ou d’inscriptions cunéiformes. Les plafonds, formés de bois précieux, étaient divisés en caissons moulés et sculptés, où les incrustations d’or et d’ivoire se mêlaient aux représentations peintes de fleurs et d’animaux. Au total, l’ensemble de ces vastes constructions, autant qu’on peut se les figurer par les indices épars et quelques descriptions anciennes, devait présenter, à l’intérieur aussi bien que dans son développement extérieur, un aspect grandiose et réellement imposant.

Des conduits souterrains découverts sous un des palais de Nimroûd prouvent que la construction des voûtes, tant à arche pointue qu’en plein cintre, était connue des Assyriens.

Dans chacun des palais que les excavations ont jusqu’à présent mis à jour, toutes les scènes sculptées où le roi figure, tous les emblèmes, toutes les inscriptions, se rapportent exclusivement au prince qui a fondé l’édifice. Tout monarque qui voulait transmettre à la postérité le souvenir de ses actions guerrières élevait ainsi, à ce qu’il semble, une de ces vastes et somptueuses demeures, qui devait être toute remplie de son nom.


Les arts du dessin. — La statuaire.

Tout ce système de constructions et d’ornementation prouve qu’à plusieurs égards l’art assyrien avait acquis un remarquable développement. À certains égards, disons-nous, car ici encore nous trouvons de singulières inégalités dans l’avancement des diverses branches de la plastique et des arts du dessin.

Nous ignorons si l’art assyrien a été entravé, comme l’art égyptien, par certaines formules ou certaines prescriptions religieuses ; ce qui est évident, c’est qu’en Assyrie et en Égypte les arts plastiques se sont arrêtés presque au même point de leur développement. Le convenu des types et la roideur des formes leur sont à peu près communs ; moins en Assyrie qu’en Égypte, cependant. L’artiste assyrien a comme l’égyptien, il est vrai, un type constant pour chacune de ses figures : soit qu’il trace l’image d’un prêtre, ou d’un guerrier, ou d’un ennemi captif, c’est toujours le même costume, les mêmes emblèmes, presque la même attitude ; mais, dans le dessin de chaque individu, il cherche évidemment à se rapprocher de la nature. Dans le visage et dans les membres, il introduit une sorte de modelé que n’a pas connu le sculpteur égyptien. Il rend, autant qu’il le peut, la saillie des muscles et le jeu des articulations. Son ciseau se complaît dans les détails, dans les ornements, dans l’exécution de la chevelure et de la barbe. Là surtout où il déploie une véritable habileté, c’est dans l’exécution des animaux. Ses chevaux et ses lions ont une pureté, un élan, une vérité qui peuvent entrer en parallèle avec l’art moderne. Mais dans les figures humaines ne lui demandez ni la science du dessin, ni l’agencement des membres selon le mouvement du corps, ni l’entente du raccourci ; ne lui demandez surtout, dans les scènes et dans les groupes, ni les lignes fuyantes, ni les proportions, ni la perspective, rien, en un mot, qui rappelle, même de loin, la véritable observation et le sentiment de la nature, — rien de ce qui constitue l’art dans son expression élevée. Tout y est jeté sur le même plan, avec une naïveté d’exécution tout à fait primitive. L’artiste veut-il représenter une vallée au milieu de laquelle coule une rivière, il n’imagine rien de mieux que de planter ses arbres en sens inverse, de telle sorte que sur une des deux rives la cime des arbres se projette en haut, et sur l’autre rive elle est tournée vers le bas. Ou a peine à s’expliquer comment une telle barbarie