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Nos explorations commencèrent au delà de la rivière Narym, à l’endroit ou les monts Kourt-choums devraient se réunir au grand Altaï. Mais on ne trouve cette dernière chaîne de montagnes que sur nos cartes ; dans la nature, elle n’existe pas. De nombreuses ramifications courent de l’Altaï à travers le désert d’Oulan-koum : c’est dans cette direction que nous portâmes nos pas ; nous fîmes l’ascension d’âpres rochers et traversâmes nombre de pittoresques vallées, dans notre course à l’est vers l’Oubsa-noor. J’avais deux objets en vue dans ce voyage : visiter les monts Tangnous que j’avais aperçus du sommet du Biélouka et le grand lac qui reçoit tant de cours d’eau sans avoir aucune issue. Il existe dans la chaîne du Tangnou un grand nombre de cimes qui dépassent le niveau des neiges éternelles : quelques-unes ont jusqu’à onze mille pieds de haut. Nous faisions route à l’est et dûmes croiser les sources de plusieurs courants qui descendent de ces sommités vers l’Oubsa. Il me serait impossible d’en fournir les noms. Personne de mon escorte n’avait pénétré auparavant dans cette région et nous n’avons rencontré aucun indigène pour nous en informer. Dans le haut pays le gibier était en abondance ; il n’était pas rare de voir rôtir au feu de notre camp et servir à nos repas de grasses venaisons. En quelques endroits, on trouvait les pieux dépouillés qui avaient servi aux yourtes coniques des Kalkas dont ils indiquaient les stations de chasse. Après avoir marché douze jours pendant lesquels nous campâmes sur les bords de divers torrents descendant uniformément de la chaîne du Tangnou, nous arrivâmes à un cours d’eau large et rapide venant du nord-est.

Il nous était impossible de le traverser à la hauteur où nous l’abordâmes ; il nous fallut remonter vers sa source. Notre marche le long de cette rivière nous mena très-haut dans les sauvages montagnes du Tangnou.

Ayant réussi, non sans difficulté, à faire l’ascension de l’un des sommets qui s’élevaient jusque dans la région des neiges, je me trouvai en face d’une perspective aussi étendue que splendide. Immédiatement au-dessous de moi gisait l’Oubsa-noor ; dans le lointain, du côté du sud-ouest, on apercevait le désert d’Uulan-koum et l’Aral-noor ; au sud, le Tchagan-Tala et les hauteurs qui s’échelonnent vers le Gobi ; au sud-est, on parvenait à distinguer les crêtes des monts Kanghais dont plusieurs disparaissaient sous la neige. C’était un coup d’œil lointain jeté sur l’Asie centrale, sur un pays que nul Européen n’avait encore entrevu. Une obscure et brumeuse ébauche du Bogda-Oola se dessinait au delà de la terre de Gobi et du vaste désert qui s’étendait au loin à perte de vue.

La plus grande partie de cette contrée est extrêmement abrupte et sauvage. On ne trouve d’arbres que dans les ravins et les vallées profondes. La plupart de ces montagnes sont dénuées d’arbrisseaux, même sur leurs versants méridionaux. Cependant les anfractuosités des rochers sont garnis d’un épais tapis d’herbe courte parmi laquelle on rencontre une grande variété de fleurs. Trois sortes d’iris y étaient en floraison : l’une d’un pourpre foncé sur fond blanc, une autre également blanche mais teintée d’un brun très-riche, enfin une troisième d’un beau jaune. De larges couches d’œillets primula croissaient partout. Des dianthus d’un rouge gris et d’un jaune pâle étaient épars sur les flancs des rochers ; ils exhalaient une odeur délicieuse.

Nous continuâmes notre voyage presque droit à l’est, et, onze jours après, nous traversions les hauts affluents de la rivière Tess. Puis, en suivant la chaîne des montagnes dans la direction du sud, nous arrivâmes aux sources de la Selenga et du Djabakan où nos guides s’attendaient à rencontrer des Kalkas. Les Kalmoucks avaient souvent trouvé de ces tribus sur la steppe Tchou, et espéraient que nous en serions traités avec hospitalité ; dans tous les cas, nos armes devaient nous concilier leur respect.

Dans le cours de cette excursion, un grand nombre de rivières descendant des montagnes virent allumer nos feux de campement sur leurs bords. Elles nous fournissaient ordinairement de poisson dû à l’adresse avec laquelle les Kalmoucks savent se servir de leur couteau.

L’hameçon et la ligne sont des moyens trop lents pour ces gens-là ; afin d’y suppléer, trois ou quatre hommes entrent dans l’eau et chassent le poisson devant eux, tandis que d’autres Kalmoucks l’attendent sur la rive ou ils le percent à coups de couteau. Ils étaient rarement plus d’une demi-heure à nous en procurer de quoi dîner abondamment.

Après avoir traversé la rivière Tess, nous suivîmes le pied des montagnes, souvent à travers des plaines de sable ; il nous arrivait fréquemment d’être obligés de monter plus haut sur leurs versants afin d’obtenir de l’herbe pour nos chevaux et du gibier pour nous-mêmes.

Au bout de huit jours, nous atteignîmes le San-ghin-dalai, beau lac de quinze verstes de longueur et d’une largeur variant de quatre à six. Il fallut y camper deux jours afin de laisser reposer nos chevaux et de me donner le temps d’esquisser les sites d’alentour, consacrés par les légendes kalmoukes. Nous étions près des sources de la Sélenga sans avoir pu rencontrer encore un seul Kalkas.

Ayant rempli l’objet de ma visite au lac, nous le quittâmes par une matinée pluvieuse et tournâmes à l’ouest dans le but d’atteindre la rivière Tess à peu près à mi-chemin de sa source et de l’Oubsa-noor. Les Kalmoucks commençaient à craindre de ne rencontrer personne. À tout événement, nous devions traverser une route fréquentée par les caravanes, et nous pouvions espérer y rencontrer quelque tribu nomade.

On avait eu plusieurs jours d’une pluie battante qui avait rendu la marche très-désagréable et le pays fort peu intéressant. Les monts Tangnous étaient cachés derrière un brouillard épais ; nous étions forcés de coucher sur le sol détrempé ; nos housses nous servaient à la fois de lit et d’abri. Il se trouvait bien quelques broussailles çà et là dans les ravins, dont nous faisions du feu afin de cuire notre repas et préparer le thé ; néanmoins, malgré nos fatigues, pas un homme de notre petite troupe ne se plaignit de son sort.

À une heure avancée de l’après-midi du sixième jour