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cette distance, les nombreux pics de la chaîne étaient beaux à contempler ; leurs cimes blanchies par la neige tranchaient sur l’azur profond et les faisaient ressembler à des aiguilles d’argent congelées.

Pendant plusieurs jours nous marchâmes au sud de ces montagnes, les laissant à notre gauche. Le cinquième jour, pendant que le soleil descendait derrière leurs sommets, des flots d’une lumière fauve se répandirent dans le ciel. Bientôt cette nuance fit place à une autre, orangée, teintée de brun ; des nuages cramoisis s’étendirent sur les crêtes des montagnes, tandis que des masses de rayons floconneux gisaient épars sur un paysage argenté. C’était une scène rare pour mes yeux, mais fort commune dans cette contrée où aucun peintre n’a encore contemplé ces merveilleux effets, ni admiré leur charme.

J’en esquissai une ébauche, puis je suivis les traces de mes compagnons, l’esprit profondément absorbé dans la contemplation du tableau déployé devant moi. Au sud quelques collines basses, d’un aspect sablonneux, couraient à l’est et à l’ouest ; au delà était une plaine immense, sans bornes, où toutes les armées de l’Europe eussent pu être rangées et ne sembler qu’un point au milieu de ce vaste désert ; — le même que Tchinkis-Khan a fait traverser à ses hordes sauvages il y a plus de six cents ans. À mon exemple, sans doute, elles ont contemplé le soleil descendant derrière les montagnes, sur la route de l’Occident, et, de plus, souhaité d’assouvir au delà de leurs instincts de sang et de pillage.

Il est probable que les nombreux tumuli dispersés au loin dans ces plaines interminables renferment les reliques des peuples qu’elles ont exterminés. La nature a marqué là les traces du conquérant depuis le lieu où il naquit sur l’Onon jusqu’à ceux qui furent les théâtres de ses dévastations terribles lors de sa course vers l’Occident. Je n’avais aucun moyen d’ouvrir quelqu’une de ces tombes éparses le long de ma route : ce fut pour moi l’objet d’un grand regret.

Cependant la nuit avançait rapidement. Pendant que je dessinais en pensant à Tchinkis-Khan, les Cosaques avaient renoncé à l’espoir de trouver l’aoul, dont rien n’annonçait la présence dans le voisinage. Quand je les rejoignis, ils étaient campés aux bords d’un ruisseau et occupés à préparer le repas du soir ; le mien m’attendait sur le gazon. La faim donna du prix à la venaison et au thé dont il se composait. À peine avions-nous fini de manger que le jour tomba et que la nuit enveloppa la steppe. En quelques minutes je fus endormi.

Le San-ghin-dalai (lac et montagne sacrés). — D’après Atkinson.

Nous quittâmes le matin notre campement pour continuer notre voyage à la recherche des Kalkas ; nous marchions sur un sol nu, presque dénué de végétation, tantôt sablonneux, tantôt obstrué d’une sorte de gravier qui fatiguait les chevaux. Les heures succédaient aux heures ; enfin, vers deux heures de l’après-midi, à notre grande joie, apparurent des chameaux et des chevaux épars au milieu d’une vallée très-proche. Ils guidèrent nos pas, et bientôt nous fûmes en vue de leur aoul. Deux hommes vinrent à nous, afin de nous conduire à la demeure du chef. Après nous avoir salués poliment, ils se placèrent de chaque côté de mon cheval, dans le but de m’escorter vers les yourtes situées sur un cours d’eau qui se perdait dans un petit lac à quelque distance. On se dirigea vers une tente de meilleure apparence que les autres et appartenant au chef qui y attendait notre arrivée. Il prit la bride de mon cheval, me donna la main pour descendre et m’introduisit dans sa demeure. Un tapis y était étendu sur le sol ; il fallut m’y asseoir pour accepter la tasse de thé obligatoire de l’hospitalité mongole. Refuser eût été impoli. Je me trouvais installé au foyer du célèbre Kalkas Darma Tsyren.

Le chef s’assit en face de moi, et les deux jeunes gens qui m’avaient accompagné se placèrent auprès de lui. C’étaient ses deux fils. Derrière eux étaient également assis dix à douze autres Kalkas, prêtant à chacun de mes mouvements une attention minutieuse. J’étais indubitablement le premier Européen qu’ils eussent jamais vu, et mon large chapeau de feutre, ma jaquette de chasse et mes bottes longues figureront, sans nul doute, pendant bien des générations, dans les récits de leurs pâtres et dans les chants de leurs trouvères.

En ce moment, plusieurs femmes firent leur apparition, et à leur tête la femme du chef. Elle s’assit auprès de lui ; sa fille vint bientôt la rejoindre, les autres se placèrent où elles purent. Mais toutes avaient les yeux fixés sur moi. Il eût été sans doute bien amusant de comprendre leurs remarques, car leur conversation était fort animée.

On en était là quand un Cosaque apporta mon somervar.