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c’est un homme instruit, bien préparé à voir avec fruit une région peu fréquentée, en état de faire au besoin de bonnes observations, et qui manie le télescope aussi bien que le fusil. Il avait sillonné durant plusieurs mois les plaines de l’Atbara, au nord de l’Abyssinie, lorsqu’il prit, à la fin de l’année dernière, la résolution de remonter le fleuve Blanc et d’entreprendre ce voyage qui devait, espérait-il, le porter à la rencontre de l’expédition de Zanzibar. En prévision des besoins où pourraient se trouver Speke et Grant, il acheta trois fortes barques, les chargea de blé et de toutes sortes de provisions (sans oublier le comfort que n’oublie jamais un Anglais), et ainsi muni pour toutes les éventualités, il se dirigea sur Gondokoro. Il y était depuis quelques jours seulement lorsque arriva la caravane. Il faut citer M. Speke lui-même, rapportant dans son journal cette rencontre si peu prévue. « Deux anciens amis qui se retrouvent ainsi inopinément, arrivant des deux hémisphères opposés, sans le moindre avertissement préalable, c’est un transport que l’on peut se figurer plus aisément qu’on ne saurait le décrire. Nous étions ivres de joie, quoique intérieurement mon bon ami Baker eût espéré nous trouver dans quelque passe difficile d’où il nous aurait tirés. Ses provisions et l’argent qu’il m’a prêté pour arriver au Caire ne nous ont pas moins été d’un immense secours ; s’il n’a pas été notre sauveur dans les pays d’où nous sortons, il l’a été sur le Nil. »

Pour que rien ne manquât, après tant de fatigues et d’épreuves, à la joie de cette réunion, M. Petherick lui-même arriva, cinq jours après, à Gondokoro. Nous avons dit, dans un précédent bulletin, la part que M. Petherick, aujourd’hui consul britannique à Khartoum, devait prendre à la grande expédition. M. Petherick était tout simplement, il y a quelques années, un de ces aventureux traitants de gomme et d’ivoire que l’appât d’un commerce lucratif a jetés, depuis quinze ans, dans ces contrées du fleuve Blanc nouvellement ouvertes à l’activité européenne. Plus entreprenant que beaucoup de ses confrères, et cherchant à se frayer des voies nouvelles en dehors des sentiers battus, le trafiquant anglais se porta assez loin dans l’ouest de la vallée du grand fleuve ; et dans quatre ou cinq campagnes successives, non sans beaucoup de risques et d’aventures, il s’appropria un champ d’opérations inconnu ou d’autres sont entrés après lui. Quoique M. Petherick ne fût ni un savant ni un observateur, ses remarques au milieu de peuplades et de territoires vierges ne laissaient pas d’offrir un grand attrait à la curiosité scientifique ; quelques notes qu’il en transmit la Londres, où lui-même se rendit bientôt après, obtinrent l’attention de la Société de géographie. On l’engagea vivement à les développer dans un récit plus étendu, et il sortit de là un livre qui parut en 1861 sous le titre de Egypt, the Sudan, and Central Africa. Ce livre, la presse aidant, fut un des succès de la saison, comme disent nos voisins, et il valut à son auteur la position officielle qu’il a occupée depuis lors à Khartoum ; plus que cela encore, il lui dut l’honneur d’être associé en quelque sorte à la grande expédition de Speke et Grant qui venait d’être organisée. Comme il était bien présumable qu’après avoir traversé toute l’Afrique australe pour gagner le Nyanza, et coupé deux à trois cents lieues de pays inconnus après avoir dépassé le lac, les explorateurs arriveraient à Gondokoro passablement épuisés, la Société décida qu’un petit bâtiment remonterait de Khartoum avec un ravitaillement complet, et irait attendre l’expédition à Gondokoro à partir d’une époque déterminée. Une somme importante fut consacrée à cette disposition subsidiaire, et ce fut M. Petherick qui en reçut la direction. Mais dans des entreprises de ce genre, sujettes à tant de hasards, il est bien rare que l’événement ne contrarie pas les prévisions. D’une part, des difficultés imprévues ont retardé de dix-huit mois la marche des deux explorateurs ; et M. Petherick, de son côté, a éprouvé sur le fleuve Blanc des désastres dont la cause et le détail ne nous sont pas bien connus. Toujours est-il que son bâtiment a été envahi, ses approvisionnements pillés ou détruits, et que lui-même a couru les plus grands dangers. Sa mort avait été annoncée presque officiellement. Sa réapparition a démenti cette dernière partie de la rumeur publique ; mais en arrivant à Gondokoro, il avait lui-même plus besoin de secours qu’il n’en pouvait fournir. Heureusement la Providence, sous les traits de M. Baker, avait pourvu à tout ; et l’expédition, reposée et refaite, a pu s’embarquer joyeusement pour Khartoum, d’où elle est arrivée au Caire et à Alexandrie. Au moment où nous traçons ces lignes (18 juin), les deux braves officiers sont attendus d’heure en heure par leurs amis de Londres[1].


VII


Reste maintenant la grande question : Quel est le résultat final de l’expédition en ce qui touche au problème des sources du Nil ?

Naturellement, dans l’état encore incomplet des communications arrivées jusqu’à nous, on ne peut déterminer d’une manière bien précise l’importance des découvertes de MM. Speke et Grant, ni leur étendue ; néanmoins, ce que nous en apprend l’Address du président de la Société de Londres suffit déjà, comme on en peut juger par notre exposé et par les quelques remarques que nous y avons jointes, pour fixer notre opinion sur les points principaux.

Nous l’avons dit, et nous le répétons : la question depuis si longtemps soulevée des sources du Nil peut être dès à présent regardée comme résolue, résolue non dans ses détails où s’usera peut-être encore plus d’une génération d’explorateurs, mais en ce qui est essentiel et caractéristique. Quoique Speke ni son compagnon n’aient vu de leurs yeux la source d’aucun des courants

  1. Ils y sont arrivés le 18. Une réunion extraordinaire de la Société royale de géographie a été immédiatement convoquée et a eu lieu mardi dernier 22 juin, pour la réception solennelle des deux voyageurs. Il y a là sans doute une certaine mise en scène ; mais il faut avouer qu’elle est bien entendue et qu’elle remue la fibre nationale.