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portions par leur petitesse même et la comparaison qu’ils forcent l’œil à établir entre eux et lui. Mercab joua un rôle important dans l’histoire des croisades : l’un des derniers boulevards du christianisme en Syrie, il ne tomba que peu de temps avant Tripoli sous les coups de Kelaoun. Aboul-Féda, le grand historien arabe, assista, âgé de douze ans, à sa chute.

« C’est, dit-il, la première scène guerrière dont je fus le témoin : j’étais alors sous la conduite de mon père Malek-Afdal-Ali. »

La prise de Mercab fut considérée par les musulmans comme une victoire immense ; depuis de longues années la vieille forteresse tenait toutes leurs forces en échec ; Schaafi, dans son tableau des belles qualités de Malek-Daher (Bihars), après avoir raconté les essais infructueux de ce sultan pour s’en emparer, s’écrie :

« Dieu réservait à notre maître (Kelaoun) un si beau fait d’armes, comme une des plus belles conquêtes et l’honneur de son règne. »

Le 23 juin enfin nous arrivâmes à Lattaquié après avoir passé un jour à Giblite, petite ville pleine d’admirables morceaux d’architecture arabe et dans laquelle on voit un théâtre romain d’une conservation incroyable, monument gigantesque qui pouvait contenir quinze ou dix-huit mille spectateurs. Les rues de Lattaquié sont étroites, tortueuses ; à chaque pas on y rencontre des débris antiques : là un arc de triomphe, là des colonnes, là un temple. Une colline plantée d’arbres abrite son port, et les navires se reposent à l’ombre ; le quai, de dix pas de long tout au plus, suffit, quoique encombré de fumeurs, aux besoins du commerce. Après une semaine de séjour, nous regagnâmes par mer Tripoli.

Hama. — Dessin de A. de Bar d’après une photographie de M. G. Hachette.

Une des populations les plus originales de la Syrie est celle des Ansariés ou Nezzariens, dont le nom vient soit d’un certain Nazzar, fils aîné du calife d’Égypte Mostaouser, dont ils embrassèrent le parti, soit d’un vieillard du village de Nezzar qui fut prophète comme tant d’autres. Les historiens croisés les nomment Néziréens. C « ’est dans leur pays et à peu de distance de Tortose que vivait le célèbre cheik de la montagne, le roi des Hadchachins, nom que l’on a longtemps traduit par celui d’assassin. Leur religion, comme leur origine, est peu connue ; plusieurs sectes les divisent : l’une adore le soleil, l’autre le chien, l’autre la lune.

Les Kadmoussiés, dont la religion, bien certainement supérieure à celle des Nezzariens, semble remonter aux premiers âges de la civilisation, vivent au milieu d’eux. Ils adorent la femme, culte excentrique, sans doute, mais qui, tout bizarre qu’il est, me paraît infiniment plus raisonnable que celui du chien.


VII

Voyage au Kalat-el-Hosn. — À Hama et Homs. — Les cèdres. — Baalbeck.

Dans un voyage que je fis à Hama, j’avais déjà passé, l’année précédente, par Tripoli. Nous étions trois, escortés de mulets, de deux moukres et d’un guide qui, quoique vigoureux et bien taillé pour la marche, avait un défaut capital : il ne savait pas le chemin. Nous nous dirigions au nord-est, avec l’intention de nous arrêter quelque temps au Kalat-el-Hosn, la citadelle la plus gigantesque peut-être que les croisés aient élevée en Syrie. Après nous être pendant deux jours perdus chez les Ansariés, dans un pays où l’on ne trouve pas trace de sentier, nous gravissons une haute montagne, et, parvenus à son sommet, nous nous trouvions en face d’un château énorme, entier, auquel pas un créneau ne manquait et qui domine encore les plaines vagues où