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établissements ; et notre marine y a opéré de nouvelles reconnaissances dans le Gabon même ou ses affluents, et sur le bras principal d’un fleuve un peu plus méridional, l’Ogovaî. Un voyageur qui pourrait remonter au loin ce dernier fleuve y serait certainement conduit à des découvertes importantes. L’embouchure de l’Ogovaï est à un degré au sud de l’équateur, précisément sous le parallèle central du Nyanza, dont un intervalle de vingt-deux degrés, ou cinq cent cinquante lieues à vol d’oiseau, la sépare. Quel explorateur comblera ce vide immense ? Cette gloire périlleuse, Du Chaillu a le désir honorable d’y entrer au moins pour une part. Après avoir complété à Londres son éducation géographique sous de bonnes directions, il est parti, dans les premiers jours d’août, muni d’instructions et d’instruments, avec la ferme intention de pousser aussi avant que possible, et de vérifier par des observations précises ses premières reconnaissances.

Un de nos officiers de marine les plus distingués, M. Vallon, a publié tout récemment, sur les parties de l’Afrique occidentale qui commencent au Sénégal et finissent au Congo, une étude extrêmement remarquable[1]. Ce morceau, fruit d’une longue et solide expérience, est ce qui, depuis longtemps, a été écrit de plus substantiel et de plus instructif pour l’étude à la fois géographique, économique et ethnologique d’une région qui prend chaque jour pour nous plus d’importance et d’intérêt.

Non loin du Gabon, au fond du golfe de Guinée, une célébrité éclatante de nos explorations contemporaines poursuit obscurément quelques entreprises isolées. Le capitaine Burton s’est séparé du capitaine Speke, par je ne sais quelle triste question de préséance, après leur commune expédition de 1858 aux grands lacs de l’Afrique australe ; et pendant que l’un retournait avec ardeur au cœur de l’Afrique conquérir une nouvelle illustration par de plus grandes découvertes, l’autre, exilé volontaire, allait se confiner dans le poste de consul à Fernando Po. Mais, selon notre proverbe, bon sang ne peut mentir, M. Burton a bientôt senti fermenter le vieux levain. Des courses sur les côtes avoisinantes et des excursions vers l’intérieur ont rempli, depuis trente mois, le vide de ses fonctions officielles. Il a gravi le premier les cimes difficilement accessibles du mont Cameroun, qui domine la côte en vue de Fernando Po ; il a pénétré sur le territoire des Fân, ce peuple anthropophage dont on a tant parlé depuis deux ou trois ans, et confirmé ce que Du Chaillu et d’autres ont rapporté de leurs habitudes ; il a réuni, en un mot, les matériaux d’un nouveau livre sur l’Afrique occidentale, dont on annonce la prochaine apparition, mais qui ne remplacera pas celui qu’il nous aurait donné s’il était retourné avec Speke dans la région des sources du Nil.

Il est un autre voyageur dont on attendait beaucoup d’après la vigueur de ses débuts : c’est le baron de Decken. M. de Decken est un compatriote du docteur Barth (tous deux sont nés à Hambourg), qui réunit, ce qui n’est pas commun, la fortune à l’amour, plus encore, à la pratique de la science. En 1860, il partit pour la côte orientale d’Afrique, dans l’intention d’y rejoindre le docteur Roscher, un autre de ses compatriotes, qui avait essayé à plusieurs reprises de pénétrer dans la région des grands lacs intérieurs, et dont les tentatives avaient échoué, faute de ce qui est le nerf des voyages aussi bien que de la guerre, l’argent. Rien n’égale la rapacité de ces peuples africains, et surtout des chefs, vis-à-vis des blancs ; leurs exigences sont devenues telles, qu’un voyage dans ces contrées barbares est maintenant plus coûteux qu’un séjour de même durée au milieu des raffinements de nos capitales. Le malheureux Roscher avait été victime de cette avidité effrénée ; faute d’avoir pu s’entourer d’une escorte suffisante, il se trouva à la merci d’un noir qui l’assassina pour le dépouiller. M. de Decken arriva dans ces parages pour apprendre la catastrophe. Elle avait en lieu à la hauteur de Quiloa. Sa pensée alors se tourna vers une entreprise qui était aussi au nombre de ses projets : c’était de gagner Mombaz, sur la côte du Zanguebar, et de s’avancer de là dans l’intérieur jusqu’aux montagnes neigeuses de Kilimandjaro et du Kénia. Quoique signalée depuis treize ans par les missionnaires de Mombaz, l’existence de ces montagnes et de leurs neiges éternelles avait été contestée par un hypercritique anglais, M. Desbourough Cooley, qui semble avoir pris à tâche de s’inscrire en faux contre les découvertes des explorateurs africains[2]. M. de Decken s’adjoignit un géologue, le docteur Thornton, qui avait accompagné Livingstone dans ses dernières reconnaissances du Zambézé, et tous deux arrivèrent au Kilimandjaro. La montagne fut gravie jusqu’à la hauteur de huit mille pieds, — moins de la moitié de sa hauteur totale, — et la présence des neiges permanentes y fut directement constatée. D’autres observations furent rapportées de cette course, que la saison des pluies obligea de discontinuer.

L’année suivante (au mois d’octobre 1862), M. de Decken est allé pour la seconde fois au Kilimandjaro, qui a été de nouveau gravi jusqu’à cinq mille pieds au delà de la première station ; mais des difficultés imprévues n’ont pas permis au voyageur de s’avancer plus avant dans l’ouest, ni de se diriger au nord vers le mont Kénia. Il y a là, cependant, de belles découvertes à faire, surtout si l’on peut redescendre à l’ouest la pente de cette

  1. Dans la Revue maritime et coloniale, novembre 1863.
  2. On jugera de la rectitude d’appréciations de M. Cooley par un seul fait encore tout récent. Par une de ces tristes bizarreries que rencontrent les esprits enclins au paradoxe, le critique anglais venait d’imprimer un long mémoire dans l’Athenæum pour établir que la position de Gondokoro, sur le haut fleuve Blanc, devait être portée pour le moins au neuvième degré de latitude, lorsque le capitaine Speke publia, il y a quelques mois, ses observations vérifiées par un des astronomes de Greenwich, qui fixent la position de Gondokoro, comme on l’a vu plus haut, à 4° 54′ 5″ de latitude ! Si ces excentricités venaient d’un homme inconnu dans la science, elles resteraient ensevelies dans l’oubli qui leur appartient ; mais M. Cooley a publié autrefois des travaux qui témoignent d’un savoir sérieux, et qui ont attaché à son nom, au moins en Angleterre, une sorte d’autorité, — aujourd’hui un peu compromise, il est vrai.